07.02.10 | DIVINE SURPRISE ! A l’initiative de son président Patrick Devedjian, le Conseil général des Hauts-de-Seine a produit, avec les moyens du département le plus riche de France, une collection de DVD évoquant la vie et l’oeuvre de dix personnages célèbres ayant laissé leur empreinte dans le 92 [1]. D’où le titre de la collection « Un lieu, un destin » lancée en janvier dernier.
L’un d’eux est consacré à « Monsieur, frère du Roi » (à visionner ci-dessous). Philippe d’Orléans (1640-1701), frère cadet de Louis XIV, fut le propriétaire du domaine de Saint-Cloud dont il ne reste aujourd’hui qu’un parc et quelques vestiges architecturaux dont une magnifique cascade [2]. Un domaine national dont rêverait de s’accaparer le neuf deux.
Ce personnage, de par une homosexualité flamboyante, a gêné des générations d’historiens qui ont usé de toutes les circonvolutions verbales pour ne jamais dire qui il était vraiment. Méconnu du grand public, il reste encore largement occulté dans l’enseignement général alors qu’il constitue une figure emblématique de la Cour du Grand Roi. De cette réserve embarrassée, on en a encore un exemple aujourd’hui sur le site même du Château de Versailles qui intitule sa fiche de présentation d’un euphémique... « Un original à la Cour » [3]. L’année dernière, nous avions consacré un article, un des plus lus de notre site, à cette figure extraordinaire de la Cour - « A Versailles, le frère très gay de Louis XIV » - qui, au-delà de son comportement particulier, bouscule pas mal d’idées reçues sur le Grand Siècle.
UNE RÉALISATION IMPECCABLE
La première surprise tient à la qualité de réalisation du documentaire qui donne envie de visionner les neuf autres. Là où on s’attendait à une simple vidéo de promotion touristique, on découvre une véritable oeuvre culturelle. L’intelligent étant d’avoir confié le projet non à des communicants mais à des professionnels du documentaire. En l’occurence au journaliste Jean-Louis Remilleux, dirigeant de la Société Européenne de Production, producteur notamment de la populaire émission « Secrets d’Histoire » diffusée sur France 2.
« Monsieur, frère du Roi à Saint-Cloud » se présente comme un docu-fiction de 52 minutes, les parties jouées alternant avec de courtes interventions de spécialistes qui se répondent les unes aux autres avec rythme, le tout ponctué de visuels d’époque et de vues aériennes du domaine de Saint-Cloud. Une distribution érudite qui nous fait grâce d’un présentateur autant ignare qu’inutile ou de pseudo-personnalités cherchant à se faire mousser en détournant l’attention du sujet. S’enchaînent les historiens Jean-Pierre Babelon, Christian Bouyer auteur d’une biographie de Monsieur [4], Jean-Christian Petitfils « le » biographe de Louis XIV, Béatrix Saule conservatrice en chef au Château de Versailles, Évelyne Lever connue comme la spécialiste de Marie-Antoinette ici conseillère historique du projet [5], la biographe et romancière Jacqueline Duchêne et Gilles Bonnevialle administrateur du domaine de Saint-Cloud. Presque tous autant brillants et passionnés les uns que les autres.
La partie fiction qui, si elle ne se déploie pas dans des plans spectaculaires, est tout à fait crédible par le soin apporté aux costumes et aux décors entre-aperçus. Grâce aussi au concours de très bons comédiens, Monsieur étant incarné par le talentueux Sinan Bertrand, habitué en quelque sorte au rôle transgenre pour avoir incarné en 2006 la drag-queen Lullaby dans le très gay « Cabaret des hommes perdus » [6]. Des acteurs servis, il faut le noter aussi, par des dialogues de qualité signés Jean-Louis Remilleux.
UN HOMOSEXUEL PRATIQUANT
Par un préjugé peut-être idiot, parce qu’émanant d’un département aussi conservateur que les Hauts-de-Seine, on s’attendait au pire. Aussi parce que la droite n’ayant jamais vraiment brillé pour faire sortir du placard les gays et les lesbiennes, on s’apprêtait à découvrir un portrait des plus édulcorés de Monsieur. Or, il faut reconnaître qu’il n’en est rien. On est même parfois étonné de l’audace relative de certaines scènes.
L’idée scénaristique astucieuse, comme fil conducteur, est de nous montrer Monsieur à ses derniers instants défendant sa vie et sa nature face à un homme d’Eglise réprobateur.
Si d’emblée on nous le montre se parant et se maquillant entouré de jeunes hommes et qu’il n’est pas fait mystère de ses penchants sexuels, il faut cependant attendre plus de la moitié du documentaire pour entendre dire clairement par une Évelyne Lever impeccable dans son phrasé que Monsieur était tout simplement homosexuel et même, délicieuse expression, « homosexuel pratiquant », il préférait les hommes aux femmes.
Peu à peu se dessine un Philippe d’Orléans tout en complexité, surtout à nos yeux contemporains (dé)formés par une Histoire apprise à l’école, formatée et bien-pensante : frère humilié de vivre dans l’ombre du plus grand roi du monde, rêvant de vivre habillé en fille mais se l’interdisant de par son rang, assumant ouvertement ses préférences sexuelles tout en étant soucieux d’assurer sa descendance, imposant son amant préféré comme maître en son domaine et s’adonnant au multi-partenariat, croyant malgré une Eglise moralisatrice et intolérante, chef militaire de talent écarté du pouvoir, assassin soupçonné de sa première femme, mécène et homme de goût peut-être encore plus que son frère...
Rien ne nous est caché de sa personnalité. Pas même l’incroyable et célèbre anecdote contée par Évelyne Lever - encore elle - de Monsieur, au lit, se frottant le sexe avec des médailles pieuses pour se donner du courage quand il lui faut « besogner » Madame.
Si le jeu convaincant de l’acteur Sinan Bertrand est trop encore, selon nous, dans la retenue - les contemporains de de Monsieur ne sont pas loin de nous décrire une Zaza Napoli empesée dans le protocole - le film n’hésite pas à le camper entouré de garçons poudrés et pomponnés. Jusqu’à une scène où on nous le montre, au lit, en chemise, entouré de deux jeunes hommes torses nus, se tripotant... les cheveux. Mais que vont penser les familles bleu marine de Bourg-la-Reine !
Quelques répliques aussi nous ont scotché. Le Chevalier de Lorraine, son boyfriend numéro un, déclarant à la femme de celui-ci à la Gloria Gaynor : « Je suis ce que je suis, et je n’en ai pas honte ». Monsieur lui-même assénant à son confesseur : « Dieu m’a voulu différent de la plupart des autres hommes ». Ou encore, répondant de l’accusation d’immoralité, par allusion au roi : « L’exemple ne vient-il pas d’en haut ? Et faut-il me reprocher à moi de suivre dans ma vie privée le comportement aventureux de mon frère ? Je sais bien que mes amis ont suscité le scandale chez les courtisans prétendus vertueux alors que ses maîtresses ont suscité l’admiration ». Le mot de la fin revenant à Louis XIV, bouleversé à l’idée de perdre son seul frère : « Aucun homme, aussi haut que Dieu l’ait placé, ne peut juger un destin si singulier ».
Un véritable plaidoyer pour réhabiliter un personnage « souvent raillé pour son homosexualité et son goût prononcé pour les bijoux » comme l’énonce le livret du DVD et tenter de cerner une figure ridiculisée pendant des siècles parce que ne correspondant pas aux morales dominantes. Le 92, en pointe des Gender studies, c’est pour le moins inattendu. Patrick Devedjian bientôt proclamé héros chez les homos, pas sûr qu’à l’UMP tout le monde en soit ravi ! Pauvre Vanneste.
UNE DISTRIBUTION INTELLIGENTE
A l’heure des débats musclés sur le téléchargement, le Conseil général des Hauts-de-Seine a opté pour un mode de diffusion multiple pour rendre accessible à tous les DVD produits à grand frais. Simultanément en mode gratuit et payant selon la formule choisie, ce qui est plutôt innovant. Le richissime 92 peut sans doute se le permettre.
Chaque DVD est en vente à l’unité à 12€, ce qui ne nous semble pas excessif compte tenu de la qualité du produit. Le coffret des dix coûte 45€ ce qui ramène le DVD à 4,5€, ce qui n’est vraiment pas cher. Pour l’instant, achetable uniquement dans les trois musées départementaux des Hauts-de-Seine : le Domaine de Sceaux, l’Espace Albert-Kahn à Boulogne et la Maison de Chateaubriand à Châtenay-Malabry. Mais pourquoi ne pas les vendre plus largement ?
Mais, parallèlement, tous sont visionnables gratuitement en ligne sur le portail culturel du département www.vallee-culture.fr/. En revanche, pas en plein écran. Mais également empruntables dans les 73 bibliothèques ou médiathèques des Hauts-de-Seine qui se sont vus offerts 5 coffrets DVD chacunes par le Conseil général.
Comme les 99 collèges publics et les 35 collèges privés du département puisque chaque film est proposé en deux versions : une de 52 minutes destinée à un large public, l’autre de 26 minutes spécialement conçue pour les plus jeunes. C’est-à-dire, pour le coup, largement édulcoré en ce qui concerne la vie de Monsieur mais dont l’homosexualité, si elle n’est pas dite en ces termes, n’est pas non plus effacée quand on entend dire par exemple un historien des « charmes » de Monsieur qu’ils « ne serviront pas pour la conquête des dames » [7].
Enfin, il faut guetter les programmes de TV5, France 5 et de la chaîne Histoire qui doivent également en diffuser plusieurs, si ce n’est déjà fait pour certains. En attendant un vrai long métrage de fiction dont Monsieur serait le personnage central, ce qui, pour peu que le projet soit intelligemment mené, ferait un film extraordinaire à tous points de vue. Tous les ingrédients ne sont-ils pas réunis ?
Pour l’heure, les Hauts-de-Seine vont certainement faire des émules, Jean-Louis Remilleux ayant déjà reçu, parait-il, des demandes d’autres départements souhaitant copier l’excellente initiative. Mais, question budget, tous pourront-ils se le permettre ? On le leur souhaite. Surtout pour nous, public avide d’explorer l’Histoire. Dans toute sa diversité.
COLLECTION « UN LIEU, UN DESTIN »
Coffret Dvd « Un lieu, un destin » : Madame de Pompadour à Sèvres, Céline à Meudon, Péguy à Bourg-la-Reine, Corot à Ville-d’Avray, Monsieur à Saint-Cloud, la duchesse du Maine à Sceaux, Chateaubriand à la Vallée-aux-Loups (Châtenay-Malabry), Joséphine à Rueil-Malmaison, Albert Kahn à Boulogne et Paul Léautaud à Fontenay-aux-Roses.
Coffret à 45 €, DVD à l’unité 12€. En vente dans les 3 musées départementaux des Hauts-de-Seine : le Domaine de Sceaux, l’Espace Albert-Kahn à Boulogne et la Maison de Chateaubriand à Châtenay-Malabry.
Visionnables gratuitement sur le site Internet www.vallee-culture.fr/ et empruntables dans les bibliothèques et médiathèques des Hauts-de-Seine.
DOMAINE NATIONAL DE SAINT-CLOUD
Domaine national de Saint-Cloud
92210 Saint-Cloud
Jardins et Musée historique
Site Internet : cliquez ici
Horaires et tarifs
Ouvert tous les jours
Mars, avril, septembre, octobre : 7h30 à 21h
Mai à août : 7h30 à 22h
Novembre à février : 7h30 à 20h
Jardins : Gratuit pour les piétons / 4€ en voiture
Musée : ?
Accès
Métro : ligne 9, station Pont de Sèvres, ligne 10, station Boulogne-Pont de Saint-Cloud
Bus : lignes 52, 72, 160, 169, 171, 175 et 179
Tramway : ligne T2
SNCF : gare Saint-Lazare ou La Défense, arrêt Saint-Cloud
De Paris : Porte de Saint-Cloud puis D 907
De Versailles : D 985
LE GAY VERSAILLES
A signaler aussi la visite guidée « En suivant Monsieur dans les bosquets de Versailles » qu’organise de temps en temps l’association PARIS GAY VILLAGE sur la vie homosexuelle au château de Versailles aux XVIIème et XVIIIème siècles.
ex excellent. très librement écrit. félicitation
[1] Madame de Pompadour à Sèvres, Céline à Meudon, Péguy à Bourg-la-Reine, Corot à Ville-d’Avray, Monsieur à Saint-Cloud, la duchesse du Maine à Sceaux, Chateaubriand à la Vallée-aux-Loups (Châtenay-Malabry), Joséphine à Rueil-Malmaison, Albert Kahn à Boulogne et Paul Léautaud à Fontenay-aux-Roses.
[2] Le château de Saint-Cloud a été bombardé et incendié pendant le siège de Paris le 13 octobre 1870 et ses ruines rasées en 1891. Certains aujourd’hui rêvent de le reconstruire ce qui nous semble personnellement totalement absurde.
[3] Comment dire sans dire : « connu pour préférer ses favoris à ses épouses »... favori, un classique pour ne jamais dire amant ; et l’incontournable et érudit « adepte du vice italien » pour ne pas dire tout simplement homosexuel.
[4] « Le Duc d’Orléans : Frère de Louis XIV » par Christian Bouyer, éd. Pygmalion, 2003.
[5] Et épouse du regretté Maurice Lever, auteur dès 1985 d’une histoire des homosexuels « Les Bûchers de Sodome » et grand spécialiste du marquis de Sade.
[6] En interview, à une journaliste lui demandant ce que lui avait apporté de jouer dans ce spectacle, il a répondu avec esprit : « De l’aisance en talons ».
[7] A ce sujet, nous signalons l’ouvrage pour jeunes « Une princesse à Versailles » d’Anne-Sophie Silvestre, Castor-Poche Flammarion n° 950, 2003 qui, à travers le récit de La Palatine, seconde épouse de Monsieur, n’hésite pas à évoquer clairement les moeurs de son mari. Lire la critique de Lionel Labosse sur le site www.altersexualite.com et, sur le même site, l’interview de l’auteur.