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Podcast : Musées & publics LGBT+, au SITEM

Bernard Hasquenoph | 28/01/2019 | 14:39 |


A Paris, une conférence, à réécouter ici, a présenté des initiatives muséales en France et à l’étranger autour de la thématique LGBT+, s’interrogeant sur la frilosité des musées français à investir ce champ. Avec Isabelle Arnoux, Nathalie Bondil, Nicolas Coutant, Antonio Gomes da Costa et Claire Mead.

28.01.2019 | SUJET INÉDIT EN FRANCE, s’est tenue, le 24 janvier 2019 à Paris, une conférence sur la relation des musées à la question LGBT que moi-même, Bernard Hasquenoph, fondateur de Louvre pour tou.t.es, ai animée, avec les invité.es suivant.es : Isabelle Arnoux et Nicolas Coutant, du Musée national de l’Education-Munaé à Rouen ; Nathalie Bondil, du Musée des beaux-arts de Montréal (présente par visioconférence) ; Antonio Gomes da Costa, d’Universcience qui réunit, à Paris, la Cité des sciences et de l’industrie et le Palais de la découverte ; Claire Mead, curatrice franco-britannique venue de Londres. L’événement s’est déroulé dans le cadre du SITEM, salon professionnel dédié aux équipements, à la valorisation et à l’innovation des musées, lieux de culture et de tourisme. Que ce soit à l’initiative d’une organisation privée est déjà en soi révélateur. Merci encore à ses responsables, particulièrement à Alice Charbonnier qui m’a proposé d’animer cette rencontre que nous avons organisé ensemble.

Devant un public nombreux, ce qui montre que la thématique intéresse plus qu’on ne le croit ici, nous avons pu échanger autour d’expériences menées en France et à l’étranger. Grâce à la société Sondekla, partenaire du salon, la conférence, ainsi que d’autres, a été enregistrée. Elle est réécoutable ci-dessus. Suivent différentes ressources qui ne sont pas la retranscription des interventions (à l’exception de celle de Nathalie Bondil, afin de compenser les problèmes de bon) mais des informations relatives aux différents sujets abordés.


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B.Hasquenoph ©Denis Garnier

BERNARD HASQUENOPH / INTRODUCTION À LA CONFÉRENCE

« En avril 2013, la France votait la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, marquant l’aboutissement d’un débat public particulièrement vif. Si la société s’adapte logiquement à cette évolution, accordant une plus grande visibilité aux personnes LGBT+, notamment dans la pop culture et dans l’audiovisuel, force est de constater que les musées français restent timides à investir ce champ, contrairement à certains de leurs homologues étrangers.

Frilosité à aborder le sujet en lien avec leurs collections, quand il s’agit de signaler au public des signes de vie homosexuelle (à replacer bien évidemment dans un contexte de lieu et d’époque), de souligner éventuellement la dimension homoérotique d’une oeuvre ou de mentionner comme fait biographique (sans expression alambiquée pour dire sans dire), l’orientation d’artistes ou de figures historiques, d’autant plus quand cela offre une clef de lecture supplémentaire. Pudeur qui n’existe pas pour les mœurs hétérosexuelles, on en a maints exemples.

Une autocensure qui interroge autant l’éthique que l’objectivité scientifique revendiquée par l’institution. Il ne s’agit pas de remplacer un savoir par un autre mais de l’enrichir, le compléter... Pourtant, des initiatives existent, mais en dehors de l’institution, comme l’association Paris Gay Village qui propose des visites autour de cette thématique comme vous avez pu le voir dans une vidéo tournée à l’occasion de cette conférence par la chaîne Muséum.

Frilosité aussi à s’adresser, à travers une communication spécifique, pour des événements, des offres de médiation, des journées particulières sur les réseaux sociaux dont les musées sont friands - On a la Journée de la girafe, la Journée de la frange, toutes les journées possibles mais sur la thématique LGBT, c’est l’omerta totale en France -, à un public catégorisé comme LGBT avec plein de guillemets, démarche aussitôt perçue comme une atteinte au sacro-saint principe d’universalité alors qu’on peut le voir, au contraire, comme un enrichissement de la relation du musée à ses publics dans leur diversité, une ouverture au dialogue et à la multiplicité des regards. Initiatives qui n’excluent en fait personne et qui peuvent intéresser tout le monde.

On a de quoi être étonné du relatif silence des musées français autour des LGBT, phénomène pourtant justement universel, ayant existé de tous temps et en tous lieux. Il est bon de rappeler aux musées qui n’osent franchir le pas que, fort heureusement en France, l’homosexualité, la bisexualité et la transidentité ne sont pas des délits, ni des opinions politiques qui viendraient heurter le devoir de neutralité du musée. A force d’invisibiliser cette réalité, l’institution n’a-t-elle pas elle-même une responsabilité, alors que tant d’agressions homophobes, lesbophobes et transphobes existent, et quand on sait la difficulté qu’éprouvent encore des jeunes à se découvrir homosexuel.les, bisexuel.les ou transgenres ? Le musée, « au service de la société et de son développement » selon la définition de l’ICOM, ne joue-il pas un rôle essentiel dans la manière dont notre culture se construit ?

Plutôt que de rester dans les grands principes, nous avons choisi d’aborder le sujet de manière très pragmatique, en présentant des initiatives muséales en France et à l’étranger, embryonnaires ou plus abouties, qui invitent à aller au-delà d’une hétéronormativité des discours, des regards et des pratiques. Quoi faire, comment faire, avec qui et pour qui ? C’est à ces quelques questions que nous allons tenter de répondre avec nos invité.es. »


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Antonio Gomes da Costa ©DR

ANTONIO GOMES DA COSTA / UNIVERSCIENCE (PARIS)

Antonio Gomes da Costa est directeur de la médiation scientifique d’Universcience qui réunit à Paris, la Cité des sciences et de l’industrie et le Palais de la découverte. L’établissement présidé par Bruno Maquart a « pour ambition de faire connaître et aimer les sciences d’aujourd’hui ainsi que de promouvoir la culture scientifique et technique ». Biochimiste de formation, A. Gomes Da Costa a été enseignant-chercheur au Portugal dont il est originaire, avant de se consacrer à la communication scientifique, ce qui l’a amené à rejoindre Universcience il y a un an dans le cadre du réaménagement du Palais de la découverte qui fermera fin 2020 pour rouvrir en 2024.

Durant 15 jours l’été dernier (26 juin-9 juillet 2018), l’enseigne de la Cité des sciences a arboré les couleurs de l’arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBT, ainsi que son site web et ses réseaux sociaux. Une première dans les institutions françaises si frileuses à s’afficher LGBT-friendly.

Cela traduisait l’engagement de l’établissement et correspondait à différentes actualités de l’établissement :
- En mars 2018, Universcience obtenait les labels Egalité et Diversité délivrés par l’AFNOR Certification pour 4 ans. Le label Egalité « vise à promouvoir l’égalité et la mixité professionnelles dans les secteurs public et privé », le label Diversité à « prévenir les discriminations et promouvoir la diversité dans les secteurs public et privé, en matière de gestion des ressources humaines et dans le cadre des relations avec les fournisseurs, partenaires et usagers ». Dans un communiqué, Bruno Maquart déclarait : « C’est un engagement constant qui anime la Cité des sciences et de l’industrie et le Palais de la découverte dans leurs actions en direction des publics comme dans leur fonctionnement interne (...) Une reconnaissance de notre démarche et des actions concrètes mises en place au sein de l’établissement. » Le ministère de la Culture, qui les avait obtenu en 2017, se félicitait que 11 établissements publics soient labellisés Diversité.
- Le 3 juillet 2018, Universcience signait la charte d’engagement LGBT+ de L’Autre Cercle, association nationale de lutte contre les discriminations LGBT en milieu professionnel. A l’initiative de Françoise Nyssen, le ministère de la Culture l’avait signée en juin 2018. Dans le domaine culturel, on ne trouve à ce jour que deux institutions signataires : Universcience et l’Opéra national du Rhin.

- A quelques jours de la Marche des Fiertés parisienne du 30 juin 2018, Universcience afficha sa solidarité, à travers un tweet de son président Bruno Maquart.
- Le 5 juillet 2018, eut lieu le LGBTSTEM DAY (STEM = Science, Technology, Engineering, Maths), première journée internationale des personnes LGBT+ dans les sciences à laquelle s’associa symboliquement Universcience, sans événements associés particuliers. A l’initiative de PRIDE in STEM) et d’autres associations anglaises et américaines engagées dans la promotion de la diversité, elle reçut le soutien de l’association européenne des centres et de musées de sciences (ECSITE), organisatrice en 2017 d’une conférence sur la thématique LGBT, et de l’association des centres de sciences et de technologie (ASTC), dont Universcience est membre. Cette journée avait pour but d’améliorer la visibilité et la représentation des scientifiques LGBT+, et donna lieu à une trentaine d’événements sur trois continents, avec le soutien de 42 organisations comme le CERN et l’Agence spatiale européenne. La date choisie du 5 juillet (507) correspond à la longueur d’onde (en nanomètres) de la couleur verte figurant dans le drapeau arc-en-ciel et est représentative de la nature. Les coming out sont plutôt rares dans le domaine scientifique, qui connut un cas tragique en la personne d’Alan Turing (1912-1954), mathématicien britannique, précurseur de l’informatique. Poursuivi en justice en 1952 pour homosexualité, il choisit la castration chimique pour éviter la prison. Il se suicida à 41 ans. Il fit l’objet d’une exposition en 2012 au Science Museum de Londres. En 2013, la reine Élisabeth II le gracia à titre posthume.

Jusqu’à maintenant, Universcience a peu abordé la thématique LGBT dans ses expositions. A l’exception de Zizi sexuel, l’expo pour les 9-14 ans à la Cité des Sciences, qui rencontra un grand succès et quelques polémiques, tourna dans plusieurs pays, et connut deux éditions en France, en 2007 et 2014. « Malgré les évolutions de la législation, propos homophobes et injures sexistes restent encore trop souvent entendues dans les cours de récréation », peut-on lire dans la présentation de la seconde. Le magazine Les Inrocks rapportait que le sujet LGBT était abordé parmi les questions posées : « Qu’est-ce que l’homosexualité ? par exemple. Pour cette question, la réponse véhicule un message de tolérance puisqu’elle précise que ce n’est ni une maladie ni un défaut. On ne décide pas d’être homosexuel, ça ne se commande pas ». En octobre 2019, le Palais de la découverte présentera l’exposition « Les Sciences de l’Amour » qui incluera la dimension LGBT.


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Isabelle Arnoux & Nicolas Coutant ©DR

ISABELLE ARNOUX & NICOLAS COUTANT / MUSÉE NATIONAL DE L’ÉDUCATION-MUNAÉ (ROUEN)

Isabelle Arnoux et Nicolas Coutant sont, respectivement, responsable du département Documentation-Communication et directeur adjoint du Musée national de l’Education-Munaé (Rouen). L’établissement, dirigé par Delphine Campagnolle, fait partie du réseau Canopé sous tutelle du ministère de l’Education nationale. Pour autant, le Munaé n’est pas la vitrine du ministère mais s’intéresse à l’éducation en général. C’est un musée (gratuit) et un centre de ressources avec un fond d’archives très important

Dans la perspective d’une exposition prévue en 2024 sur les amours adolescentes, le musée a initié un travail sur la relation qu’entretient l’éducation à l’histoire et aux questionnements LGBTQI+. Les premières recherches ont permis de mettre en place une visite thématique des réserves du musée, qui se sont déroulées le 17 mai, Journée de lutte contre l’homophobie et la transphobie (à laquelle j’ai assisté, ce qui a donné lieu à un article publié dans L’Hebdo du Quotidien de l’Art), et le 16 juin 2018, date de la Normandie Pride rouennaise. Le projet, en partenariat avec plusieurs associations LGBT, est décrit sur le site du musée, qui met à disposition ressources et iconographie : Peu importe le genre et l’orientation sexuelle : Éducation et questionnements LGBTQI+ dans les collections du Munaé.


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Claire Mead ©DR

CLAIRE MEAD, CURATRICE INDÉPENDANTE (LONDRES)

Claire Mead est franco-britannique. Historienne de l’art et commissaire d’exposition indépendante, elle est chargée de programmation à Londres de Makerversity, lieu de co-working créatif. Curatrice en résidence au Middlesbrough Institute of Modern Art (MIMA), musée du nord de l’Angleterre, elle y a monté une exposition portant un regard Queer sur les collections, Living Beyond Limits, en lien avec la population locale et la communauté LGBTQIA. En France, elle participe au collectif Archives LGBTQI qui milite pour la création d’un centre d’archives et des mémoires LGBTQI+ à Paris.


De très nombreuses initiatives existent dans les musées britanniques en lien avec la thématique LGBT.

En 2017, le Royaume-Uni célébra le cinquantième anniversaire de la dépénalisation partielle de l’homosexualité, ce qui donna lieu à de nombreux événements dans les institutions culturelles :
- L’exposition Queer British Art 1861–1967 à la Tate Britain. Parallèlement, l’institution a invité des activistes et artistes pour le festival gratuit Queer and Now qui a permis des discussions libres et parfois très critiques envers la Tate, initiative reproduite l’année suivante.
- L’exposition Desire, love, identity : exploring LGBTQ histories au British Museum (devenue itinérante) qui, par ailleurs, valorise les oeuvres de ses collections liées à la thématique LGBT à travers un parcours dans ses salles, sur son site et par un livre : A Little Gay History : Desire and Diversity across the world.
- Le programme Prejudice and Pride : Exploring LGBTQ history du National Trust, association qui regroupe 300 monuments et 200 jardins : focus sur une douzaine de monuments, conférences, visites guidées, podcast, vidéos, édition d’un guide... A noter cependant la polémique que souleva l’initiative dans l’un de ses monuments, Felbrigg Hall, où des bénévoles refusèrent de porter le badge (obligatoire) créé pour l’occasion, mal à l’aise devant la révélation de l’homosexualité de son dernier propriétaire, comme le rapporta la presse.

A Londres, le Victoria and Albert Museum comprend un groupe de travail, The Museum’s LGBTQ Working Group, composé de membres du personnel, qui explore les questions de genre, de sexualité et d’identité au sein de ses collections. Un samedi par mois, une visite LGBT gratuite du musée a lieu, remportant un grand succès, animée par une équipe de bénévoles dont Dan Vo qui l’a créée en 2015. Celui-ci, très actif sur les réseaux sociaux, a été récemment distingué par le New York Times : Penguin Sex and Stolen Artifacts : Museum Tours Through a New Lens.

Au Royaume-Uni, les musées sont nombreux à s’associer aux Marches des Fiertés, n’hésitant pas à arborer le drapeau Arc-en-ciel sur leur bâtiment et tweetant pour l’occasion. A Londres, une association de personnels LGBT des musées, galeries er bibliothèques défile : Museum Pride London. Depuis 2008, au mois de février, se tient le LGBT History Month donnant lieu à de nombreux événements comme la soirée Fierce Queens à la Queen’s House Greenwich.


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Nathalie Bondil ©DR

NATHALIE BONDIL / MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE MONTRÉAL

Nathalie Bondil est directrice et conservatrice en chef du musée des Beaux-Arts de Montréal, qui se veut un « musée humaniste, innovant et audacieux », ce qui n’est pas usurpé. En poste depuis 2007, N. Bondil y est entrée en 1999 comme conservatrice. D’origine française, formée à l’Ecole du Louvre et à l’Institut national du patrimoine, elle est désormais détentrice de la double nationalité franco-canadienne.

Le musée des Beaux-Arts de Montréal mène de nombreux projets avec les publics LGBTQ+, comme nous l’avait évoqué dans un entretien Thomas Bastien, son directeur de l’éducation et du mieux-être : expositions et événements liés comme pour la rétrospective Mapplethorpe en 2017 (espace de médiation avec des témoignages des communautés LGBTQ+, visite naturiste en collaboration avec un magazine gay, initiatives lors de la Journée internationale de la lutte contre le sida...) ; projets menés avec des fondations comme la réalisation de la vidéo Tomber dans l’oeil : Regards sur la diversité sexuelle (Fondation Émergence) ou un parcours de sensibilisation portant sur le harcèlement à l’école (Fondation Jasmin Roy) ; projet d’art-thérapie auprès de jeunes transgenres... Enfin, depuis quelques années, le musée des Beaux-Arts de Montréal défile lors de la Marche des Fiertés avec son propre char.

Initiatives LGBT du musée des Beaux-Arts de Montréal :
Exposition Mapplethorpe (2016)
- Visites nues avec le journal Fugues
- partenariats avec la clinique médicale L’ACTUEL
Exposition Love is Love
- Vidéo de la performance du couturier Jean-Paul Gaultier et de l’artiste canadien Kent Monkman
- article (en anglais)
Initiatives dans le milieu scolaire
- GRIS-Montréal ((Groupe de Recherche et d’Intervention Social)
- Publications
Fondation Emergence | Lutte contre l’homophobie et la transphobie (2015)
- Projet « Tomber dans l’Oeil » à partir des collections du musée
- Projet « Les alliés s’exposent », avec la banque TD et Emergence
- Chars de la Fierté, le premier avec la fondation Jasmin-Roy
Guide Culture and Local Development : Maximising the Impact, OCDE/ICOM
- Présentation (en anglais) - Présentation (en français)
- GUIDE (en anglais) : Culture and Local Development : Maximising the Impact - Guide for Local Governments, Communities and Museums
Chambre de commerce LGBT du Québec
- Partenariats réguliers avec le musée : cclgbtq.org
Prix Droits et Libertés
- Participation du musée : www.cdpdj.qc.ca

Retranscription de l’intervention de Nathalie Bondil (avec quelques manques dûs aux problèmes de son) :

Pourriez-vous nous parler des différentes initiatives dans votre musée liées à la thématique LGBT, comme l’exposition Mapplethorpe, ce qui est intéressant puisqu’il y en eu une au Grand Palais, à Paris, sans événement particulier ?

N.Bondil - Du point de vue montréalais et canadien, le mariage pour tous, la légalisation du mariage entre personnes de même sexe existe depuis 2005. On est dans une situation où il y a très peu de friction et où il y a une banalisation pour le mieux de cette diversité sexuelle. On l’appelle LGBTQ2, le 2 c’est pour Two-Spirited la bispirirualité autochtone qui, elle aussi, a sa place. Pour l’exposition Mapplethorpe que nous avions eu en 2016, il me paraissait absolument impossible d’éviter le sujet, à moi comme à mes équipes, et l’idée, c’était évidemment de mettre cette diversité, de l’afficher pour ce qu’elle est, elle fait partie de l’inspiration esthétique et artistique de Mapplethorpe mais, je dirais aussi que ça a été l’occasion d’aller chercher des publics qui sont moins sensibilisés à cette question-là.

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Site du Musée des beaux-arts de Montréal, capture d’écran

Pour moi, c’était évident qu’un public LGBT, ouvert, notre public traditionnel, viendrait de toutes façons mais comment utiliser cette exposition comme une plateforme pour aller pénétrer des milieux où cette diversité est moins acceptable ou acceptée. C’est là que nous avons voulu voir l’exposition de manière un petit peu différente. Alors oui, nous avons fait des visites nues, en nous associant avec le magazine Fugues, un magazine consacré à la communauté LGBT. En plus de cela, nous avons travaillé avec beaucoup d’associations qui étaient liées à la lutte contre le sida, à la diversité culturelle et diversité sexuelle, notamment avec une association qui s’appelle Arc-en-ciel qui parle de la diversité dans les communautés afro-caribéennes. Nous avons aussi travaillé avec un organisme qui s’appelle le GRIS-Montréal qui a fait un groupe d’intervention dans les écoles, directement avec les professeurs (...) Le but, pour moi, c’était de me dire qu’une grand-mère avec ses enfants devait et pouvait venir voir Mapplethorpe, et apprendre cette [fierté]-là sans même être choqué (...) Il y avait un parcours amusant qui permettait d’éviter certains portfolios mais il y avait toute une panoplie d’associations avec qui nous avons travaillé qui permettaient d’amener le projet, par exemple dans des secteurs musulmans, des communautés afro-caribéennes, des personnes plus âgées. C’est ça que je trouvais important, c’est d’amener ces publics pour les sensibiliser au fait que Mapplethorpe est un formidable artiste. Ca, ce sont les expositions.

On travaille beaucoup avec les associations. Pour les collections, il y a des interventions que nous faisons qui permettent de déjouer les préjugés. Avec notamment Tomber dans l’oeil un court-métrage qui a été fait sur une exposition où des tableaux de la collection étaient vus sous un angle qui pouvait amener une autre lecture, c’est-à-dire deux femmes ensemble, est-ce que ce sont vraiment une femme de la bonne société et sa domestique ? Peut-on imaginer par la fiction d’autres histoires d’amour ? C’était aussi pouvoir libérer l’imaginaire autour d’oeuvres qui n’étaient pas forcément liées à la réalité LGBT, cela permettait de libérer l’imagination.

Le musée travaille énormément avec toutes sortes d’associations, 450, toutes ne concernent pas la diversité sexuelle mais beaucoup d’entre elles. Nous faisons aussi des performances. On a eu un cas très intéressant avec Jean-Paul Gaultier avec qui nous avons fait une exposition, il y a eu un projet qui s’appelle Love is Love, exposition que nous avons faite en conclusion de la grande exposition Jean-Paul Gaultier qui a tourné partout dans le monde, qui a été à Paris et à Londres. Pour conclure cette histoire extraordinaire, on a fait un projet qui s’appelle Love is Love - Le mariage pour tous suivant la phrase d’Obama qui, à l’époque, avait légalisé le mariage pour tous aux Etats-Unis. C’était un grand gâteau de mariage, toutes sortes de mariés étaient assemblés : femme-femme, homme-homme, interracial, etc Il y avait une robe qui était inspirée d’une coiffe des indiens des plaines. On avait cette question de l’appropriation culturelle. Comme nous étions dans un terrain très sensible avec les premières nations au Canada, avec une réalité nord-américaine avec les premières nations qui ne peut pas être comprise en France, sauf en Nouvelle-Calédonie. En France, il y a d’autres choses par ailleurs.

L’idée du projet, c’était d’aller au-delà des revendications sur l’appropriation culturelle à partir de cette coiffe réalisée par Jean-Paul Gaultier pour une robe de mariée. Nous avons organisé une performance avec un artiste génial qui est très queer, Kent Monkman, qui a un avatar qui s’appelle Miss Chief Eagle Testickle. Et nous avons organisé un mariage dans une performance avec Jean-Paul Gaultier lui-même et Kent Monkman, pour montrer qu’au-delà des différences culturelles, de ces différences de perception, un grand couturier et un grand artiste s’unissaient pour défendre une cause qui était la leur, la cause de l’amour au-delà de toutes les différences. Ça a été un moment très important, ça permettait de mettre cette question au-delà du débat qui est parfois très dur, très acrimonieux, sur l’appropriation culturelle. C’est devenu une oeuvre d’art qui d’ailleurs a été présentée au Centre Culturel Canadien à Paris, et que nous avons présenté en ce moment. Il y a beaucoup de façons de défendre cette question-là.

Là, ce sont les activités in situ. Après, hors les murs, on est très présent avec le réseau des écoles, on est très présent avec le réseau des entreprises comme par exemple pour des associations d’art public comme une exposition de photographies de personnalités qui n’étaient pas forcément homosexuelles, bisexuelles ou d’autres de la diversité, s’associer pour cette cause-là. Nous sommes très présents avec la Chambre de Commerce gay du Québec, nous participons à leur gala, nous les accueillons. Nous sommes aussi dans les Droits et Libertés, nous participons à ces organisations, à ces jurys. Donc c’est vraiment pouvoir aller au-delà du thème de l’art et des collections, des expositions pour dire L’institution vous soutient. Ce que nous faisons aussi, ça a été mentionné par l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques]. Nous avons notre propre char, notre propre flotte, cela va faire la quatrième année que le musée des Beaux-Arts a son char pour participer à la Marche des fiertés. (...)

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Nathalie Bondil, char du MBAM au défilé Fierté Montréal 2017 / Photo Sébastien Roy

Ça passe aussi par une politique d’inclusion au sein même de l’institution, c’est très important, on ne va pas prêcher ce que l’on ne ferait pas soi-même, c’est un point qu’il faut mentionner. Aussi, lorsqu’il y a des attentats comme Orlando par exemple malheureusement, c’est d’afficher ces couleurs de manière publique, très forte. Il faut saisir les opportunités pour pouvoir être présent sur des terrains où l’on n’attendrait pas forcément le musée ou la culture (...) Aller au-delà du public LGBT qui est déjà conquis quelque part, on est quand même dans un milieu confortable dans les musées, en culture. Le but c’est d’aller bien au-delà.

Je vais juste citer un guide qui vient de sortir, auquel nous avons participé. C’est un guide qui a été fait par l’ICOM et l’OCDE qui est sorti en décembre dernier et qui concerne les gouvernement locaux, les communautés et les musées.

En 2017 et 2018, plusieurs musées et professionnels des musées, représentants de comités de l’ICOM et membres se sont rencontrés régulièrement et ont collaboré avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Secrétariat de l’ICOM afin de rédiger un Guide pour les gouvernements locaux, les communautés et les musées.


- PRÉSENTATION (en français) : le projet
- GUIDE (en anglais) : Culture and Local Development : Maximising the Impact - Guide for Local Governments, Communities and Museums

(...) Si vous regardez dans ce guide disponible partout, il y a à la page 26, tous les musées français devraient s’y référer… Le but est d’organiser des expositions sur des thématiques culturelles et d’autres activités permettant de créer des connexions entre les communautés, de renforcer, sur des thèmes concernant le bien-être, les migrations, le genre et les LGBTQ+. Plusieurs cas sont cités, le cas du musée des Beaux-Arts de Montréal sur l’inclusion et la diversité, avec le char à la Gay Pride, est mentionné. Pour ceux qui auraient encore des hésitations à faire ce genre d’actions, ils peuvent tout simplement se mettre un parapluie légitime qui est celui de l’OCDE et de l’ICOM. Quand un guide international donne ce genre de directive, on n’a pas de crainte à avoir.

Comment expliquez-vous cette frilosité française autour de ces questions ?

N.Bondil - Je crois que c’est très lié à la question de l’universalisme et à la question de la communauté. Ce sont vraiment des notions complexes, ce sont des mots-pièges qui sont très difficiles, je dirais même dans un Québec francophone qui est partagé entre le multiculturalisme et le communautarisme anglo-saxon et puis cet idéal républicain, universel, qui est celui héritier des Lumières et de France. Franchement, c’est un débat philosophique qui peut avoir ses bons et ses mauvais aspects. Je dirais qu’au-delà de cela, c’est tout simplement, et là je le vois parce que nous, nous avons la facilité de travailler avec des groupes qui sont communautairement, qui sont des identités. Ces questions identitaires sont acceptées ici, de ce côté de l’Atlantique alors qu’en France on a peur qu’elles divisent et qu’elles séparent. Je pense que le fait d’aller vers des experts, moi je ne suis pas une experte de ces questions, je suis une historienne de l’art, je travaille avec des experts qui sont des associations et avec qui nous allons élaborer un système de co-création et des projets qui vont s’intégrer (...)

Les musées français sont des musées administratifs, fonctionnarisés, publics, ce qui est très différent des musées en Amérique du Nord ou en Angleterre où on est dans des associations à but non lucratif privées. En France, en travaillant dans des musées, on va s’inscrire dans une réglementation liée à l’administration publique, donc il y a des façons de contourner, je dirais, cette réalité-là, ces barrières pour [associer des personnes en interne], c’est très important d’avoir ce genre d’ambassadeurs, de les multiplier, parfois sur le mode de la consultation ou tout simplement, en fait dans les musées, il y a énormément de personnes, en éducation, des ambassadeurs qui sont très actifs. Le but, ce serait de travailler en co-création avec des experts du milieu pour qu’ils comprennent à la fois de la réalité du musée français qui est très spécifique et pour pouvoir l’adapter pour rencontrer ces communautés. Au final, le plus important c’est que l’action soit posée. Peu importe, quelque soit la couleur du chat pourvu qu’il attrape la souris.

:: Bernard Hasquenoph | 28/01/2019 | 14:39 |

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« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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