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Sarah Catala : « Hubert Robert est un artiste du remix »

Bernard Hasquenoph | 20/04/2016 | 12:00 | 1 commentaire


Le Louvre consacre une exposition à Hubert Robert, artiste des Lumières à l’activité protéiforme et à l’oeuvre moins superficielle qu’il n’y paraît. Eclairage sur un homme cultivé qui a su mener sa carrière avec intelligence, y compris commercialement, par Sarah Catala, spécialiste du dessin ancien et de l’artiste.

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Sarah Catala © DR

20.04.2016 | SARAH CATALA, 31 ans, est doctorante en histoire de l’art, spécialiste du dessin ancien et d’Hubert Robert. C’est à ce titre qu’elle a participé comme conseillère scientifique à l’exposition du Louvre « Hubert Robert - 1733-1808. Un peintre visionnaire », ainsi qu’à d’autres sur l’artiste, passées et à venir. Elle est par ailleurs fondatrice de l’association Bella Maniera qui fédère une communauté de passionnés et d’amoureux du dessin ancien.

Quelle place occupe le dessin dans l’activité artistique d’Hubert Robert, connu surtout comme peintre ?
Il est important de comprendre qu’Hubert Robert était quasi un autodidacte. Il n’est pas allé à l’Académie royale de peinture et de sculpture mais aurait été formé dans l’atelier du sculpteur Michel-Ange Slodtz. Il a dû dessiner avant, mais c’est certainement quand il arrive à Rome à 21 ans en 1754 qu’il s’y consacre vraiment. Pour lui, le dessin a déjà un rôle éducateur. Là, durant les onze années qu’il reste en Italie, il change beaucoup de techniques et d’approches. L’exposition du Louvre montre bien cette progression.

Mais qu’a-t-il fait avant ?
Auparavant, il a étudié au Collège de Navarre à Paris, l’actuel Lycée Henri IV, et en est sorti à environ 20 ans. Ses humanités étaient hyper complètes. Il n’était pas du tout destiné à une carrière artistique et devait être clerc. Son éducation a conditionné tout le reste. Il a plus de culture et de connaissances que n’importe quel artiste de son âge, ce qui va lui donner une souplesse dans les rapports de sociabilité. Il parle le même langage intellectuel et connait les codes des amateurs d’art. C’est aussi pour cela qu’à Rome, il est capable d’avoir une notion sur la temporalité et l’historicité très forte. D’où son rapport très personnel à l’Antiquité.

Quel genre de dessinateur se révèle-t-il ?
Il préfère les vues d’architecture ou de nature. Très peu de croquis d’après modèle vivant alors obligatoires nous sont parvenus, signe sans doute de son désintérêt pour le genre. Il a un oeil d’architecte, avec un grand sens de la construction. Il stabilise constamment ses formes, sa manière s’en ressent. Ce sont des lignes droites, des hachures... il y a quelque chose de très ferme, à la fois dans son trait et dans la façon dont il compose son dessin. Il aurait été également un excellent photographe car il a le sens du point de vue. C’est son point fort. Il possède certes moins de technicité et de maîtrise que Fragonard ou que n’importe quel artiste de l’Académie, mais il sait cadrer ce qu’il voit. Il est donc aussi capable d’en extraire le meilleur.

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La Place du Capitole, à Rome. Hubert Robert, 1762

A partir de quel moment se met-il à transformer les monuments qu’il représente, comme il le fera durant toute sa carrière ?
C’est cela qui est fascinant chez lui, il ne représente jamais la réalité, et ce, dès le départ. On reconnaît le bâtiment ou le lieu mais il est toujours mis à la sauce Robert. C’est un artiste du remix. Mais il ne fait pas des modifications gratuites. Il s’amuse à transformer un monument antique en édifice baroque, quelque chose de baroque il essaie d’en retrouver toutes les racines antiques. Ce sont des jeux intellectuels.

Quand il revient à Paris, que deviennent tous ses dessins réalisés en Italie ?
C’est comme un répertoire de modèles qui ne cessera de l’inspirer. Il a, comme on dirait aujourd’hui, le sens du business. Il vend la plupart de ses sanguines mais il en tire avant des contre-épreuves. Il a donc un stock très conséquent et toute sa vie, il va les réadapter, les transposer en peinture, en changer les formats, y rajouter des petits personnages. Là où il est malin, c’est que chaque client a un objet unique. C’est extrêmement rare qu’il fasse des copies de ses oeuvres. Il a une maitrise très forte de sa production.

Parallèlement à la peinture, il continue de dessiner...
C’est parfois mal compris des historiens de l’art mais quand il revient à Paris, Hubert Robert doit gagner sa vie et faire carrière, le dessin devient alors chez lui moins expérimental. Au XVIIIe siècle, les dessins sont destinés aux amateurs. Chaque année, il change de manière. Il vend tout le temps. Il est très impliqué dans le marché de l’art et est l’ami de tous les experts de l’époque comme le mari d’Élizabeth Vigée Le Brun. Il mène sa barque comme n’importe quel artiste contemporain de nos jours. Il reste attentif à la mode mais garde sa ligne : le paysage, la ruine...

Et multiplie les techniques...
Oui et chaque technique qu’il utilise a une fonction. La pierre noire, ce sont des griboullis préparatoires à des tableaux, la sanguine ce sont des dessins achevés, l’aquarelle c’est uniquement pour la vente et le lavis, des recherches personnelles et plus expérimentales. Je trouve que ce sont ses meilleurs dessins. C’est tout ce qu’on aime chez les artistes : le jet de la création, l’imagination complètement débridée... Un bon exemple, c’est un carnet exposé dans une des premières salles de l’exposition, certainement l’un des plus beaux.

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Canal bordé de colonnades. Hubert Robert

Justement, quel usage Hubert Robert faisait-il de ces carnets de croquis ?
Ils constituaient pour lui un outil de travail. On le sait car ils sont tous été vendus à sa mort. Il les avait tous gardés, il y en avait plus de 50. Ils ont été ensuite quasi tous démembrés. De temps en temps sur le marché, on voit passer une feuille... Le Louvre possède deux de ces carnets, un factice - c’est-à-dire que ses propriétaires successifs l’ont reconditionné -, et le second qui est intègre, comme celui conservé à la National Gallery de Washington, et quelques autres dans des collections privées.

Le carnet intègre du Louvre est celui qui est présenté à la fin de l’exposition et qui a été numérisé, ce qui permet de le feuilleter ?
Oui, c’est un objet exceptionnel. Il a été découvert dans un grenier, en France, dans une boîte de photographies, chez un particulier qui ignorait ce qu’il possédait. Il l’a amené à un cabinet d’expertise. On m’a de suite appelé. C’est un vrai carnet, le produit brut du travail de l’artiste. Il est hyper émouvant pour deux raisons. Il est d’abord exceptionnel par son usage. Il se retourne parce qu’il a été fait en deux temps de la carrière d’Hubert Robert. On a certainement là les tout premiers témoignages de sa production. Ce sont des vues réalisées en Italie où il arrive en 1754. Les premiers dessins qu’on connaissait de lui datent de 1757. Il remplit alors une vingtaine de pages. Des architectures un peu foldingues, des caprices aussi, c’est assez maladroit... Puis il rentre à Paris, sans doute avec, et vers 1775 il le reprend et l’utilise alors dans l’autre sens pour y dessiner ses enfants pris sur le vif, tracés à la sanguine puis repris à la plume. On l’imagine fouiller dans ses affaires à la recherche de pages blanches... C’est super émouvant car ce sont les seuls dessins connus de la vie intime d’Hubert Robert, d’autant plus que le couple a perdu ensuite ses quatre petites filles, leurs seuls enfants. On y voit aussi des scènes de maternité et des allégories.

Quand ce carnet est-il entré dans les collections du Louvre ? C’est récent ?
Il a été acquis en mars 2015. J’ai insisté pour qu’il le soit pour son caractère exceptionnel. Le dernier carnet d’Hubert Robert passé en vente, c’était il y a dix ans. C’est le seul carnet intègre conservé dans un musée en Europe et la première véritable acquisition de ses dessins par le département des Arts graphiques du Louvre qui a bénéficié auparavant de beaucoup de dons de la Société des Amis du Louvre, dès sa création. Ce carnet constitue une acquisition modeste par rapport à son importance artistique mais capitale comme témoignage intime.

On trouve aussi dans les carnets d’Hubert Robert des dessins de monuments de Paris ? C’était du repérage pour des oeuvres futures, une pratique compulsive ?
Un peu tout cela. Un de ses proches rapporte qu’il appelait cela ses « promenades ». Cela casse un peu la vision romantique du dessinateur assis avec son grand carton qu’il ne cesse de représenter. Il faisait beaucoup de dessins sur le vif, des one-shots. Il a dû en faire énormément.

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Porte Saint-Denis, carnet d’Hubert Robert, Louvre

Comme vous le disiez, son approche est celle d’un photographe en fait...
Oui, il a cet oeil-là, il aurait été aujourd’hui timbré du portable. Il possède cette manière de capter très vite. Ce n’est pas un chroniqueur, ce qui l’intéresse dans un monument, ce sont les moments de temporalité, surtout les bâtiments en construction ou en destruction. Le côté people, milieu dans lequel il était pleinement impliqué, ne l’intéresse pas du tout. Alors qu’il était de tous les dîners, qu’il a participé à la pièce de théâtre la plus sélect de l’époque, déguisé en polichinelle avec son ami Stroganoff, il ne représente jamais ce monde-là.

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Projet d’aménagement de la Grande Galerie du Louvre. Hubert Robert, vers 1789

Comment interpréter la présence récurrente dans son oeuvre du personnage du dessinateur auquel vous faisiez allusion ?
Je pense qu’il faut le prendre comme le double de lui-même, ou celui de ses collègues, mais surtout le sien. C’est un des rares artistes à mettre en scène leur propre activité... Souvent aussi, un amateur traîne pas loin, qui lui montre quelque chose. C’est un aller-retour constant entre l’image vue et l’expérience vécue.

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Paysage avec cascade inspiré de Tivoli. Hubert Robert, château de Maisons

C’est là que le tableau Paysage avec cascade prêté par le château de Maisons pour l’exposition est extraordinaire. On y voit ce couple d’amateurs en compagnie d’Hubert Robert qui tient un carnet de dessin signé de son nom. Il est à l’égal de ses mécènes. Il y a une fluidité sociale qu’on retrouve constamment dans son oeuvre. De même, dans le célèbre tableau de l’abattage des arbres à Versailles, tout le monde est sur le même plan, petits métiers comme Marie-Antoinette, sans rien pour les séparer. On y voit même les gens du peuple en train de visiter les jardins. Hubert Robert projette une vision libérale de la société, ce qui ne veut pas dire que tout le monde a les mêmes droits. C’est là qu’on réalise qu’il y a de l’intellectualité dans son oeuvre qui n’apparait pas au premier coup d’oeil, ce qui est complètement dans l’esprit du XVIIIe siècle, une espèce de nonchalance intellectuelle.

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L’entrée du Tapis Vert à Versailles. Hubert Robert, 1777

Parmi ses multiples activités, il était également professeur de dessin ?
Oui, dans le salon de Madame Rohan-Chabot, soeur de La Rochefoucauld. Comme beaucoup de femmes de son milieu, celle-ci prend des leçons de dessin, tout comme les amateurs d’art. L’autorité y est renversée. L’artiste détient le savoir, amateurs et aristocrates l’acceptent. Comme ils ne sont pas capables de faire de la peinture d’histoire, ils font plutôt du dessin de paysage. Et encore une fois, Hubert Robert est malin car il leur propose comme modèles ses propres dessins. Professeur pour l’élite, il donne des cours à ses clients et mécènes qui dessinent à la manière d’Hubert Robert. On voit là sa capacité d’influence visuelle. Il le fera très longtemps. A ce propos, l’exposition du Louvre présente un dessin extraordinaire, une grande aquarelle qui appartenait à la comtesse d’Angiviller [épouse de l’équivalent de nos ministres de la Culture, NDLR] alors que rare étaient les femmes à posséder des oeuvres. On y voit des femmes en train de dessiner, assises sur des ruines. Il date de 1786, année du décès de Madame Rohan-Chabot. On peut le voir comme une ode à la pratique féminine du dessin. Et souvent, dans les vues qu’il réalise du musée du Louvre, sont représentées beaucoup de dessinatrices, surtout dans les années 1800. On sait qu’à cette époque, il donne des cours à Madame Récamier et aussi à Élisabeth Demidoff, la personnalité la plus riche de Russie qui vit à Paris à ce moment-là.

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Deux jeunes femmes dessinant dans un site de ruines antiques. Hubert Robert, 1786

Et enfin il conçoit des jardins. C’est un entrepreneur multifonctions...
Hubert Robert est une personnalité unique qui n’avait pas vraiment de plan de carrière. Il y a d’abord le dessin, après la peinture et, à moment donné, la conception de jardins qui en découle comme une évidence. Chaque activité nourrit l’autre. Il a aussi réalisé des décors de théâtre pour les Menus-Plaisirs. C’est quelqu’un qui a su se placer, qui a su voir ses capacités et ses défauts très vite, et tirer le meilleur de ses qualités.

Pour conclure, vous avez créé récemment l’association Bella Maniera ? Quel est son but ? Elle est ouverte à tous ?
Oui bien sûr et je suis contente car on a déjà une centaine d’adhérents : des étudiants, des marchands, des conservateurs, des collectionneurs, des personnes curieuses de découvrir un monde qu’ils ne connaissent pas. Certains sont venus via notre page Facebook. Notre association dont le président d’honneur est Pierre Rosenberg, a pour but de valoriser le dessin ancien qui, pour des questions de conservation, se montre peu. Nous organisons des visites privées pour aller voir des oeuvres ensemble. Les cotisations servent à deux choses : remettre un prix de 1000 euros pour aider un chercheur à mettre en valeur le fonds de dessins d’une collection publique française et hors de Paris. Peu importe son âge, son institution, sa profession... On va l’officialiser au prochain Festival de l’histoire de l’art de Fontainebleau et il sera attribué en novembre. Et chaque année, nous proposerons une rencontre avec un organisme. Cette année, ce sera Ars Graphica qui est une plateforme en ligne de recherche sur le dessin et la gravure. Nous réfléchirons ensemble à la manière de parler du dessin.

Vous avez d’autres projets ?
Je prépare pour le printemps 2017, en tant que co-commisaire, une exposition sur Hubert Robert concepteur de jardins qui se tiendra au château de La Roche-Guyon. Et je suis heureuse car j’ai obtenu une bourse pour partir un an au Met à New York continuer mes recherches.

:: Bernard Hasquenoph | 20/04/2016 | 12:00 | 1 commentaire

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EN COMPLÉMENT

EXPOSITION « HUBERT ROBERT, UN PEINTRE VISIONNAIRE »
- Musée du Louvre, Paris, 9 mars-30 mai 2016, www.louvre.fr
- National Gallery of Art, Washington, 26 juin-2 octobre 2016 : www.nga.gov
- Catalogue Hubert Robert - 1733-1808. Un peintre visionnaire, coédition Somogy/Louvre, 49€. Sarah Catala y signe le texte La « matérialité fonctionnelle ». Quelques réflexions sur les pratiques de dessin d’Hubert Robert.

RESSOURCES
- Site de l’association Bella Maniera : www.bella-maniera.com
- Sur les réseaux sociaux : Facebook / Twitter
- Blog de Sarah Catala : www.abecedarioandco.com
- Hubert Robert Online : www.hubertrobert.org


VOS COMMENTAIRES


11.04.2019 | |

Le bonheur. J’attends juste la prochaine exposition....


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« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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