01.04.09 | Certaines des critiques émises dans notre article sont à revoir à l’aune de la conférence de presse donnée par la ministre aujourd’hui. Certaines de nos récriminations que nous formulons depuis des semaines, voir plus, ont été semble-t-il prises en compte : la diffusion d’une liste des musées et monuments nationaux hors périmètre du ministère de la Culture (mais est-ce la liste des établissements qui vont appliquer la mesure ? pas sûr, certains répondent que non !), la diffusion pour la première fois d’une analyse de l’expérimentation de la gratuité totale de 2008. Cependant, le discours politique qui l’accompagne nous semble, en première lecture, totalement déconnecté de son contenu. A étudier de plus près...
31.03.09 | « Parce que je considère que la culture a une valeur, et que, parce qu’elle a une valeur, elle a un prix... » énoncait Christine Albanel, ministre de la Culture en décembre 2007. Un peu à la manière de la mauvaise fée se penchant sur le berceau de la Belle au Bois Dormant puisque c’était à l’occasion du lancement de l’expérimentation de la gratuité des musées en 2008, promesse phare du programme culturel du candidat Sarkozy [1]. Mais la ministre ramait en plein paradoxe entre la lutte contre le piratage sur Internet et le droit à un accès libre aux temples de l’Art.
Ca ne manque pas de sel : l’ennemie publique n°1 de la gratuité des musées [2] est envoyée aujourd’hui en première ligne pour porter la décision du président de la République d’accorder celle-ci aux seuls jeunes et professeurs qui auraient dû déjà, pour leur part, en bénéficier depuis la rentrée 2008 si la ministre avait appliqué ce qu’elle avait elle-même annoncé au mois de janvier précédent [3]. Mais mieux vaut tard que jamais pour une mesure qui leur redonne un droit qu’ils avaient perdu en partie en 2004 par une décision du même ministère.
CENSURE ET PROPAGANDE
La ministre n’a jamais caché sa préférence pour une gratuité ciblée, notamment envers les jeunes. Par idéologie djeuniste et peut-être aussi pour des questions budgétaires. La décision du président est tout autant populiste puisqu’à l’issue de l’expérimentation de six mois, l’étude spécifique du public jeune a montré une hausse de fréquentation mais une quasi absence d’impact de la gratuité sur les moins culturellement favorisés d’entre eux, ce qui était le but recherché comme n’a cessé de le répéter le ministère de la Culture pendant toute la durée du test [4]. Le but n’a pas plu été atteint pour les jeunes que pour le reste de la population.
C’est pourquoi il est surprenant de lire aujourd’hui sur le site du ministère de la Culture que cette « expérimentation (...) a révélé le succès de la gratuité auprès des jeunes de 18 à 25 ans » [5] ce qui est totalement contredit par l’étude commandée alors au CREDOC qui préconisait plutôt des gratuités événementielles type nocturne pour favoriser cette diversification des publics jeunes, la gratuité seule et généralisée se révélant inefficace [6].
Ministère de la Communication ou de la Propagande ? on peut s’interroger. Ministère de la censure, sans doute puisque l’étude concernant l’expérimentation visant l’ensemble de la population n’ayant curieusement, elle, jamais été rendue publique malgré son coût de 85 000€ [7]. Que contenait-elle de si dérangeant ? Censure à la Culture, tout un programme...
GRATUITÉ, SERVICE MINIMUM
Le président de la République ayant annoncé sa décision d’accorder la gratuité d’accès aux musées et monuments nationaux aux jeunes ainsi qu’à « leurs professeurs » parce que « c’est une chance » [8], la ministre de la Culture a été chargée d’appliquer la mesure. Mais là encore, rue de Valois on n’a cessé de traîner les pieds et de faire en sorte de limiter au maximum la portée de la décision présidentielle.
Si pour les jeunes, les choses sont réglées puisque la gratuité concernera généreusement tous les jeunes de l’Union européenne de 18 à 25 ans, ce qui est une très bonne chose - Spéciale dédicace au musée des Arts et Métiers qui a décidé de l’accorder à tous les jeunes du monde ! -, le ministère entend par professeurs uniquement « les enseignants en activité dans un établissement du premier et du second degré de l’Education nationale », ministère qui vient d’ailleurs de leur envoyer une carte dénommée « Pass éducation » à présenter à l’entrée des musées.
Mais si sont inclus les professeurs des établissements privés sous tutelle de l’Etat, en sont exclus les enseignants d’universités, les professeurs des lycées agricoles alors que ceux-ci sont justement au contact de jeunes a priori peu enclins à se rendre au musée, les enseignants des autres pays notamment de l’Union Européenne et enfin les enseignants retraités [9]. Pourquoi tant de restrictions ?
CHACUN POUR SOI
De même, le ministère de la Culture se refuse à délivrer la liste complète des musées et monuments concernés, qui ne dépendent pas tous de son périmètre, se limitant à ceux strictement sous sa tutelle. Ainsi, la ministre encourage ses musées à organiser pour le 4 avril, premier jour d’application de la mesure, des manifestations festives. Bien peu de choses en vérité, le programme en ligne sur le site du ministère fait un peu pétard mouillé.
Ce jour-là, la ministre se rendra au musée d’Orsay qui proposera des parcours littéraires animés par des comédiens autour des collections. N’aurait-il pas été plus judicieux de plutôt braquer les projecteurs sur un musée en Région moins connu qu’une grande institution parisienne qui n’a besoin d’aucune publicité ?
Pour les établissements nationaux dépendant d’autres ministères, c’est bien simple, rue de Valois, on ne s’en occupe pas. Chacun pour soi. Ainsi aucun organisme d’Etat n’est capable de dresser la liste générale des établissements, ce que nous avons été amené à faire nous-même, non sans mal (liste ici).
Le ministère le plus coopérant et le plus rapide à faire connaître son dispositif d’application a été la Défense qui possède un patrimoine culturel d’une grande richesse. L’Education nationale n’a pas eu trop de mal à s’y plier, ne possédant qu’un seul musée. Du côté du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, c’est plus obscur. A part le musée des Arts et Métiers qui s’enthousiasme pour la mesure, du côté du Muséum National d’Histoire Naturelle qui s’égrène en de multiples lieux en France la question n’est toujours pas réglée entre sa direction et les services de Valérie Pécresse. Pour ses autres établissements c’est non. Le mauvais élève reste l’Institut de France, dépositaire de nombreuses donations comme le musée Giverny, qui très égoïstement ne s’estime pas concerné de par son statut. La fête oui, mais pas partout et pas pour tout le monde.
Liste des musées et monuments nationaux gratuits pour les jeunes 18-25 ans, professeurs et enseignants, cliquez ici
[1] Conférence de presse de la ministre de la Culture sur la « Gratuité des musées » | 23.12.07
[2] Interrogée le 22 mars 2009 par Pierre Matthieu pour La Dépêche du Midi, la ministre de la Culture a clairement exprimé son point de vue sur la question : « Je suis contre la gratuité pour tout le monde tout le temps ». Sur son attitude durant l’expérimentation, lire « Gratuité des musées, un rendez-vous manqué ».
[3] Annoncée en Conseil des ministres, le 30 janvier 2008, la mesure devrait entrer en application à la rentrée 2008. Lire « Gratuité des musées pour les professeurs... déjà annoncée il y a un an »
[4] « La question est de savoir si un tel dispositif permet d’attirer des visiteurs qui n’ont pas l’habitude de fréquenter les musées » notait-on déjà dans le dossier de presse inaugural | 23.10.07
[5] « Gratuité des musées pour les moins de 26 ans » sur le portail d’accueil de www.culture.gouv.fr.
[6] Lire « Sarkozy offre la gratuité des musées aux jeunes... les plus favorisés »
[7] L’expérimentation a coûté 2,3 millions d’euros, plus 85 000€ pour son étude confiée au cabinet privé Public & Culture, déclaration de la ministre de la Culture, au Sénat, le 26 mars 2008.
[8] Le 13 janvier dernier, à Nîmes, lors de ses voeux au monde culturel.
[9] Nous sommes en attente de réponses des ministères de l’Agriculture et de l’Enseignement supérieur dont dépendent certains professeurs.