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La Cour des comptes épingle les musées voyous

Bernard Hasquenoph |

Louvre pour tous | 18/01/2011 | 08:21 | 1 commentaire


Le ministère de la Culture empêcherait la publication d’un rapport pointant la dérive marchande des grands musées nationaux : insubordination, chiffres de fréquentations truqués, tarifications excessives, absence de politique de démocratisation, mécénats suspects...

30.03.11 | Le rapport de la Cour des comptes est en ligne ici.

24.03.11 | La Cour des comptes a prévu de rendre public ce rapport le mercredi 30 mars 2011 : voir ici. D’autre part, le magazine Challenges informait dans une brève datée de du 24 février que « Jean-Jacques Aillagon, le président du château de Versailles, est furieux après un référé de la Cour des comptes pointant les relations entre l’établissement public et sa filiale Château de Versailles Spectacles. Cette société de droit privé, qui a géré les expositions Koons et Murakami, serait une coquille vide permettant de s’affranchir des règles publiques en matière de tarifs, de rémunérations et d’horaires des agents ». Peut-être en saurons-nous plus à cette occasion...

18.01.11 | ET SI LA COUR DES COMPTES nous donnait raison... Le rapport semble si explosif que le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand ferait tout pour empêcher sa publication, affirme un article du Canard Enchaîné paru au mois de janvier [1]. Le journaliste Didier Hassoux a pu consulter les 160 pages de ce prérapport « qui, conformément aux procédures de la Cour des comptes, n’avait pas vocation à faire l’objet d’une information publique à ce stade » comme nous l’a répondu aimablement l’institution quand nous lui en avons demandé communication, concluant ainsi : « Le rapport définitif sera publié en temps utile », c’est-à-dire aux calendes grecques.

Nous voulons croire que nous ne sommes pas totalement étranger à son éclosion. En juillet 2009, nous saisissions la Cour des comptes au sujet de la gestion du Château de Versailles, après avoir enquêté sur 10 ans de tarification de l’établissement dérogeant à nos yeux à plusieurs de ses missions de service public. Un mois plus tard, Gérard Terrien, secrétaire général adjoint de M. Séguin, Premier président alors de la Cour des comptes, nous répondait avoir transmis notre courrier au Président de la 3e chambre, ajoutant : « Je ne doute pas qu’il sera fait le meilleur usage possible de ces informations à l’occasion de son prochain contrôle ». En l’occurence, le prérapport rédigé par les magistrats de cette même 3e chambre « a enquêté sur les politiques gouvernementales menées dans les musées au cours de la dernière décennie », dont Versailles. Les quelques éléments rapportés par l’hebdomadaire satirique sont consternants et croisent certaines de nos constatations.

UN MINISTÈRE SANS AUTORITÉ
Le ministère de la Culture n’aurait plus aucun poids ni autorité sur les grands musées ayant adopté un régime de semi-autonomie, restant pourtant en droit des établissements publics sous tutelle. Parmi eux, les plus grands : le Louvre, Orsay, Versailles, Pompidou, Le Quai Branly, Fontainebleau... Le rapport parle d’« affaiblissement sans doute irréversible » de la Rue de Valois. Plus grave, la Cour des comptes dénoncerait une autonomie mal maîtrisée de ces établissements, « chaque musée (faisant) dans son coin, ce qu’il veut » selon la formule du Canard, malgré les conventions d’objectifs signées avec le ministère.

Ces musées seraient seuls maîtres à bord, ce qui ne les empêcherait nullement en retour de dépendre financièrement de l’Etat quand le développement de leurs ressources propres - billetterie, location d’espaces, mécénat - aurait dû, selon la Cour des comptes, s’y substituer progressivement. C’est le cas de Versailles qui ne cesse pourtant de se plaindre d’un manque de subvention de fonctionnement de l’Etat comme en bénéficient toujours ses collègues, quand ses ressources propres ont augmenté de 66% entre 2001 et 2009, passant de 30 à 50 millions d’euros ! On a un exemple de cette attitude d’insubordination quelque peu choquante de la part d’établissements nationaux aussi emblématiques dans le récent livre-témoignage de Christophe Tardieu, administrateur du Château de Versailles sous la présidence de Christine Albanel (2003-2007), quand il évoque le sujet en ces termes : « Lorsque les services du ministère deviennent trop envahissants à mon goût, en critiquant par exemple telle ou telle de nos initiatives, je ne manquais jamais de préciser que, en l’absence de subvention de fonctionnement, il fallait bien qu’on se débrouille... » [2].

DES TARIFS PAS DÉMOCRATIQUES
Le ministère serait tellement out rapporte le Canard sur la base du rapport des magistrats, que la plupart du temps il serait « placé devant le fait accompli » quand les musées décident d’augmenter leurs droits d’entrée. Rappelons que ces tarifs sont fixés régulièrement en conseil d’administration où siège bien, pour chacun de ces établissements, un représentant du ministère, mais sa seule voix ne peut infléchir ce type de décision. Ce que reprocherait la Cour des comptes, c’est l’absence de réaction du ministère, ce sur quoi nous sommes bien d’accord. Car pire, le rapport soupçonne les musées de se concerter pour procéder à ces augmentations, ce qui ne serait pas forcément grave si cela ne se faisait au détriment de la mission de démocratisation par le prix à laquelle ils sont soumis en tant qu’établissements labellisés « Musée de France » [3].

Si le rapport constate une croissance constante de la fréquentation générale des musées sur dix ans, passée de 17,5 millions de visiteurs en 2000 à 28,1 millions en 2009, elle ne concerne que « les touristes, riches. Beaucoup moins (les) Français, pas aisés » comme le note le Canard, s’appuyant sur une étude du ministère de la Culture (à notre connaissance non rendue publique) qui ferait état d’une baisse significative sur dix ans dans les musées de la fréquentation des populations les moins favorisées financièrement [4]. Un recul inquiétant, et non une simple stagnation, dû, pour la Cour des comptes, à une politique tarifaire qui « a beaucoup plus obéi à l’objectif de maximisation des ressources propres qu’à une politique globale de démocratisation ». Cela nous semble si évident, nous qui répétons depuis des années que si la barrière tarifaire n’est évidemment pas le seul obstacle à la venue du plus grand nombre dans les musées, augmenter toujours plus leurs droits d’entrée ne peut pas non plus la favoriser. Au contraire.

De fait, il est effarant de constater l’évolution du prix de certains musées nationaux, comme le musée d’Art moderne du Centre Pompidou passé de 5,5€ en 2003 à 12€ aujourd’hui, le summum étant atteint par le Château de Versailles passé de 7,50 € en 2005 à 15 € aujourd’hui ! Si cela ne suffisait pas, on assiste, en plus de l’augmentation du prix d’entrée, à l’éradication progressive d’avantages tarifaires populaires comme la réduction pour tous en fin d’après-midi. Versailles l’a supprimé en avril 2010 alors que sa direction ne cesse de se plaindre de la concentration des visiteurs en matinée [5] ! Le Louvre vient à son tour de le faire. En toute discrétion. Henri Loyrette, son président, avait annoncé en novembre dernier, dans une interview accordée au Figaro, que le billet d’entrée allait passer de 9,5 à 10€ (pour info, il était de 7,50€ en 2003) [6]. Mais il s’était bien gardé d’indiquer la suppression de la réduction de 6€ après 18h lors des nocturnes du mercredi et vendredi ! La Cour des comptes confirmerait que les grands musées confondent à dessein la massification du public, - en courtisant les touristes qui, commercialement, représentent le public le plus captif - avec la diversification des publics qui relève de leur mission essentielle.

DES CHIFFRES DE FRÉQUENTATION TRUQUÉS
Mais c’est au sujet des gratuités que la Cour des comptes fait une révélation fracassante, mettant à jour une pratique particulièrement malhonnête, ce qui ne nous étonne cependant qu’à moitié. En avril 2009, les musées nationaux ont été obligés de s’incliner devant la décision présidentielle d’accorder la gratuité aux jeunes de moins 26 ans ainsi qu’aux enseignants. Pour compenser la perte de recettes, l’Etat s’est engagé à leur verser la somme manquante. Ce qui n’a pas l’air d’enthousiasmer La Cour des comptes qui considère qu’il s’agit là d’une « mesure inutilement coûteuse dont l’efficacité tarde à se manifester ». Si l’on se demande bien sur quoi la Cour se base pour être si tranchante au bout de seulement un an et demi d’application, côté finances on ne peut que lui donner raison puisque les musées truqueraient ni plus ni moins leurs chiffres de fréquentation dans « le seul but d’obtenir des subsides de l’Etat » ! Si, pour notre part, nous avons dénoncé le gonflement artificiel de la fréquentation de Versailles par le simple cumul des visites d’un même individu à différents endroits du domaine la même journée, comme celle du Centre Pompidou à l’abracadabrantesque progression de 36% en trois ans vantée jusqu’en Conseil des ministres et rapportée telle quelle par le média spécialisé et réputé pourtant sérieux artclair.com, on n’aurait pas osé soupçonner un tel trafic. On avait bien noté avec perplexité qu’à Versailles par exemple, on était passé de 3% à 40% de gratuités en seulement cinq ans !

TROUBLES OPÉRATIONS DE MÉCÉNAT
Autre sujet d’étonnement pour la Cour des comptes selon le Canard Enchaîné, les prestigieuses opérations de mécénat dont raffolent les grands musées nationaux, opérations facilitées par les très attractifs avantages octroyés aux entreprises donatrices. Surtout depuis la loi du 1er août 2003 dite Aillagon du nom de l’ancien ministre de la Culture qui la fit voter alors. Mais il semblerait qu’il y ait confusion sous la plume du journaliste ou moins vraisemblablement du côté des auteurs du rapport, entre mécénat et parrainage.

Le mécénat permet une réduction égale à 60 % du montant du don [7]. En revanche, les dépenses de parrainage, opération de nature commerciale, sont juste déductibles du résultat de l’entreprise [8]. Comme l’explique sur son site Internet l’ADMICAL, organisation en pointe sur le sujet, le mécénat, contrairement au parrainage, suppose un don désintéressé, c’est-à-dire sans contrepartie directe d’égale valeur [9]. Et si la loi sur le mécénat autorise des contreparties, cela suppose « une « disproportion marquée » avec le montant du don ». Le site du ministère de la Culture dédié au mécénat, indique ici que « la valeur des contreparties accordées à l’entreprise mécène ne doit pas dépasser 25% du montant du don », le rapport admis étant de 1 à 4. Les contreparties matérielles liées au parrainage peuvent, elles, aller, jusqu’à 50% du montant du don.

Or, le Canard mentionne, sur la base du rapport de la Cour des comptes, une opération de mécénat ayant eu lieue à Versailles en 2008 dont les contreparties se seraient élevées... à 51% du montant du don ! Le Canard écrit : « Ainsi, en 2008, Chanel signe un chèque (modeste) de 45 000 euros en faveur du château de Versailles. Or la valeur des contreparties (invitations, visites privées) est estimée à 23 000 euros. Quant à l’avantage fiscal, il s’élève à 18 000 euros. Au bout du compte, la générosité de Chanel se limite à 4 000 euros... ». Le problème, c’est que le rapport d’activité de Versailles de cette année-là ne cite qu’une opération de parrainage de l’entreprise Chanel, et non de mécénat, correspondant à une exposition photos de Karl Lagerleld, directeur artistique de la célèbre maison de haute-couture, sous le commissariat direct de Jean-Jacques Aillagon [10]. Peut-être y’a-t-il confusion avec des opérations de mécénat menées à Versailles en 2009 ? L’entreprise Chanel a bien participé cette année-là comme mécène à la manifestation « Veilhan Versailles » et surtout à l’exposition « Fastes de Cour et cérémonies royales » [11]. Ce qui n’expliquerait pas pour autant la disproportion marquée des contreparties accordées (23 000€) avec le montant du don (45 000€). Mais nous pensons qu’il y a amalgame avec l’expo de K. Lagerfeld. Les magistrats auraient pu aussi bien se pencher sur le dossier du mécénat Breguet qui en 2008, toujours à Versailles, a permis la restauration du Petit Trianon et qui nous semble beaucoup plus problématique (Voir ci-dessous).

Mais peut-être la Cour des comptes s’interroge-t-elle plus globalement sur le bien-fondé de la loi qui accorde, il est vrai, aussi bien pour le mécénat que pour le parrainage, de substantiels avantages. Peut-être trop. Au point que le terme de mécénat serait presque devenu impropre en l’espèce, le bénéfice étant presque supérieur à l’acte supposé de philanthropie. D’autant que les contreparties le plus souvent accordées n’équivalent-elles pas à une privatisation partielle de l’espace public ? soirées VIP, fêtes et visites privées, gratuité d’accès pour les salariés des entreprises donatrices... Ce dernier point restant le plus saugrenu quand les grands patrons de ces musées souvent les plus hostiles à l’idée d’une gratuité pour tous ne trouvent rien à redire à celle accordée sur le seul fait d’appartenir à une société privée. Mais une contrepartie n’est pas quantifiée alors qu’elle demeure sans doute la plus essentielle pour l’entreprise, le bénéfice qu’elle tire de ces opérations en terme d’image. Un bénéfice immatériel...

Le Canard cite un second exemple de dérive liée au mécénat, celui-ci plus épineux. Il concerne le domaine national de Chambord. L’estimation des travaux de restauration du célèbre escalier à double hélice du château aurait décuplé en un an, passant de 192 000€ à 1 million, base qui servira de calcul de l’avantage fiscal au bénéfice de l’entreprise de BTP mécène. Avec un léger souci : « Les études ont été effectuées » par l’entreprise mécène elle-même ! Avec pour conséquence, le journal cite le rapport, « de soustraire l’opération mécenée aux mécanismes de (...) mise en concurrence de la commande publique ». « Avec le silence complice du ministre... » ajoute le journaliste. Tout le problème des actions de mécénat et de parrainage réside en fait dans leur opacité. Les conventions signées entre les entreprises privées et les établissements publics restent confidentielles quand aucun organisme de contrôle, à notre connaissance, ne vient y mettre le nez. Si ce n’est, exceptionnellement, comme ici la Cour des comptes. Avec quelles conséquences ?

:: Bernard Hasquenoph |

:: Louvre pour tous | 18/01/2011 | 08:21 | 1 commentaire

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EN COMPLÉMENT

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Petit Trianon ©BH

BREGUET À VERSAILLES, MÉCÉNAT OU OPÉRATION PUBLICITAIRE ?
Extrait d’une enquête inédite sur le mécénat Breguet

La Cour des comptes aurait aussi bien pu se plonger, mais peut-être l’a-t-elle fait, dans le dossier du mécénat Breguet qui en 2008, à Versailles, a permis la restauration du Petit Trianon à hauteur de 5 millions d’euros [12]. Négociée sous la présidence Albanel avec Nicolas Hayek, patron de cette prestigieuse entreprise suisse décédé depuis, la convention de mécénat signée le 13 juin 2006 aurait prévu en contrepartie, selon le quotidien suisse de référence Le Temps, la mise à disposition des lieux pour « pendant vingt ans, à raison de trois fois par année, organiser des événements privés dans le Petit Trianon. » [13]. Ce qui serait, si cela est exact, un avantage tout à fait extraordinaire. Une véritable aubaine pour la marque de luxe qui aurait fait du Petit Trianon, comme le mentionna le site Business PME le « centre des événements promotionnels » de Swatch Group auquel appartient Breguet. Une bonne affaire si l’on en croit le magazine Stratégies qui, en 2002, estimait à 5 millions d’euros le « budget de communication moyen en horlogerie » à un niveau mondial [14].

Acte de mécénat ou opération de sponsoring/parrainage ? On peut légitimement se poser la question. Ce qui n’induit évidemment pas les mêmes avantages fiscaux même si l’entreprise basée à l’étranger n’en aurait pas profité pas selon certains, mais elle possède bien une filiale en France [15]. Reste la question des contreparties. Vingt ans de mise à disposition du Petit Trianon, chef-d’oeuvre architectural de Gabriel, qui dit mieux ? Le site Internet de Château de Versailles Spectacles indiqua un temps le tarif de 80 000€ pour la location de l’Opéra royal du château. Pour une soirée sans spectacle. On imagine que celle du Petit Trianon avec ses jardins, joyau s’il en est du domaine de Versailles, ne doit pas coûter moins. Ce qui, selon la convention de mécénat signée (3 soirées annuelles/20 ans) donnerait 4 800 000€, soit l’équivalent des 5 M€ offerts ! On serait alors très loin des 25% autorisés.

Plus curieux, si le mécénat participe bien évidemment à valoriser l’image de l’entreprise donatrice en s’inscrivant dans sa stratégie de communication, la loi lui interdit cependant de s’en servir comme d’une publicité déguisée. Or, à Versailles, la participation de Breguet S.A. s’est inscrit clairement dans une opération commerciale à grande échelle, la publicité ne s’y cachant même pas. Si la montre reconstituée dite de Marie-Antoinette, présentée par Nicolas Hayek à la presse, le 24 septembre 2008, jour l’inauguration du Petit Trianon restauré, n’a pas été mise en vente depuis, bien que cela ne fut pas totalement exclu [16], elle fut de manière évidente l’argument marketing d’une stratégie commerciale affichée. Au point de susciter, parmi les journalistes présents, un certain malaise :« La conférence de presse qui marquait la réouverture du Petit Trianon a davantage porté sur la marque Breguet que sur le château » remarqua ironiquement le journaliste du Temps quand celle du Monde avoua finir « par ne plus savoir à quel événement on était convié » [17]. Bien malgré eux, faisant confiance au contenu du dossier de presse distribué par le château et conçu conjointement avec la société Breguet, la plupart des journalistes se firent en réalité les relais d’une campagne de communication d’entreprise. Ainsi retrouvera-t-on partout les mêmes informations non vérifiées, sujettes à caution : Abraham Louis Breguet était l’horloger de la Cour et Marie-Antoinette, « une fervente admiratrice de ses montres », sans parler de la fable de la montre Marie-Antoinette [18]...

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Pub Breguet / DP Versailles 2008 ©DR

Que venait faire dans le dossier de presse distribué aux 350 journalistes venus du monde entier une page de publicité illustrée d’une photo pour « les dernières collections de Haute Joaillerie de Breguet (...) inspirées de l’univers romantique de Marie-Antoinette et de son Domaine du Petit Trianon » ? Ô les doux noms du Temple de l’Amour de Marie-Antoinette, Le Pavillon de la Reine, Les Jardins du Petit Trianon ou Marie-Antoinette Dentelle ? Autant de produits haut de gamme que l’on retrouve dans le catalogue de la marque : Montre Les Jardins du Petit Trianon « Les Glycines », Montre Marie-Antoinette « Dentelle », Montre Marie-Antoinette « Fleurs », toutes en or blanc 18 carats, pavés jusqu’à 600 diamants. Visibles sur le site Internet de la marque, suivront la collection La Rose de la Reine comprenant bague, pendentif, bracelet, broche ; la parure Le Petit Trianon à l’argumentaire de vente aussi long qu’une phrase de Proust, le style en moins : « Un resplendissant diamant central de taille émeraude matérialise le charme épuré de la discrète demeure, échappatoire de Marie-Antoinette aux contraintes de la cour, subtilement lié par des boucles serties de diamants taille princesse à une majestueuse rivière de diamants symbolisant les fastes de Versailles »...

En plus de cette publicité maison qui s’afficha ostensiblement jusque dans le dossier de presse, on en trouva ensuite de façon pérenne à l’intérieur même de l’édificice public. Si Breguet S.A. n’a pu obtenir d’y exposer sa montre Marie-Antoinette, en revanche, dans l’espace multi-média ouvert au rez-de-chaussée, parmi des petits films sur l’historique des lieux qui cite l’entreprise pour son mécénat ce qui est normal, on trouve trois films promotionnels sur l’entreprise horlogère actuelle dont l’un sur cette montre, ce que releva également notre journaliste suisse, ce qui constitue bien une entorse à la loi [19].

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Salle Multimédia du Petit Trianon ©BH

Enfin, s’il restait encore un doute sur la nature publicitaire de ce type d’opération, il suffit d’ouvrir le livre déjà cité de Christophe Tardieu, administrateur du château sous la présidence de Christine Albanel, témoin de quelques unes des plus médiatisées opérations de mécénat à Versailles. Que ce soit pour la restauration de la Galerie des Glaces par le groupe Vinci entre 2004 et 2007 ou celui du Petit Trianon par la société Breguet entre 2006 et 2008, il montre bien que ces opérations, au-delà du bénéfice en terme d’image, ne furent en réalité que de vastes opérations de publicité, ce qui, légalement, devrait les voir automatiquement requalifiées en action de parrainage, avec les conséquences fiscales que l’on sait. Ainsi voit-on Vinci, dans le cadre de son mécénat de compétence, faire intervenir ses propres équipes. C. Tardieu écrit : « La restauration de la Galerie des Glaces eut l’effet d’une énorme campagne de promotion pour le groupe (...) De surcroît en faisant travailler certaines de ses filiales sur une partie du chantier, le groupe Vinci s’offrait une extraordinaire publicité : quel client ne serait pas impressionné d’avoir un fournisseur qui a restauré la Galerie des Glaces ? » (p.77). Pour Breguet, les choses sont encore plus claires car l’ancien bras droit d’Albanel au château vient confirmer ce que nous avions deviné à l’époque au sujet de la marque Marie-Antoinette déposée à l’INPI : « Très attentifs aux contreparties du mécénat, (nos amis suisses) voulaient discuter avec nous de problèmes de marques et autres droits immatériels » (p.87), ce qui montrait bien que la société se situait dans une optique purement commerciale...
 :: Bernard Hasquenoph | Louvre pour tous


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18.01.2011 | re75 | http://www.reciproque.net

Bravo pour cet article et pour votre honnêteté intellectuelle. L’habillage graphique du nouveau site est un peu trop décoratif, mais il reste très lisible. Continuez


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NOTES

[1] « La Cour des comptes se paye une visite des musées nationaux » par Didier Hassoux, LE CANARD ENCHAÎNÉ | 12.01.11.

[2] « Le surintendant de Versailles » par Christophe Tardieu, éd. du Moment, 2010, p.60. Lire la critique de ce livre par La Tribune de l’Art.

[3] « Les droits d’entrée des musées de France sont fixés de manière à favoriser leur accès au public le plus large. » Loi n°2002-5 du 4 janvier 2002, art. 7.

[4] Entre 1997 et 2008, -3% de paysans, -7,5% d’ouvriers, -12% d’employés.

[5] « Certains jours, il y a beaucoup de monde mais je crois qu’il faut que le public apprenne à mieux se distribuer dans la journée. Trop de visiteurs arrivent en même temps le matin entre neuf heures et midi alors que l’après-midi la visite est beaucoup plus confortable. » Jean-Jacques Aillagon, président du Château de Versailles, FRANCE INFO | 22.04.10.

[6] « Le Figaro - »Comme la plupart des grands musées publics, votre budget pour 2011 est en baisse. Quelles conséquences cela va-t-il avoir ?"
H. Loyrette - « La France subit une grave crise et nous prenons notre part d’efforts. Un plan d’économies a été mis en œuvre, qui a abouti à un resserrement des dépenses. Ceci posé, nous avons dû faire avec 5% de moins en 2009 et pour 2011 de nouveau 5 autres pour cent de moins en 2011. Notre subvention d’investissements diminuera, elle, d’un quart, et nous devons nous conformer à l’obligation de ne pas remplacer un départ en retraite sur deux. Pour répondre à ces contraintes, nous allons passer le prix du billet d’entrée de 9,5 à 10 euros et continuer une politique active de mécénat » in « Le Louvre doit susciter de nouvelles curiosités » propos recueillis par Eric Bietry-Rivierre et Claire Bommelaer, LE FIGARO | 30.11.10.

[7] « L’article 238 bis du Code Général des Impôts modifié par la loi du 1er août 2003 prévoit une réduction d’impôt égale à 60 % du montant du don, pris dans la limite de 5 pour mille du chiffre d’affaires hors taxes » Source : ADMICAL. L’Association pour le Développement du Mécénat Industriel et Commercial est une association reconnue d’utilité publique qui a pour mission fondamentale de promouvoir la pratique du mécénat d’entreprise en France.

[8] « Les dépenses de parrainage sont déductibles du résultat de l’entreprise, au titre de charges d’exploitation » et « toute dépense de parrainage correspond à une opération de nature commerciale et fait donc l’objet d’une facturation assujettie à la TVA » Source : ADMICAL.

[9] Définition du mécénat selon l’arrêté du 6 janvier 1989 « relatif à la terminologie économique et financière » : « Le soutien matériel apporté sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général ».

[10] « Société CHANEL : Convention de parrainage : Exposition K. Lagerfeld / Tissu de la scénographie + frais cocktail inauguration exposition / signature le 05 juin 2008 » Rapport d’activité EPV 2008, p.354.

[11] « Rapport d’activité EPV 2009 », p.299 et 45.

[12] Pour 5 millions d’euros, Breguet S.A. s’engagea à financer la restauration du Petit Trianon, en réalité essentiellement la remise aux normes électriques du bâtiment, ainsi que, dans les jardins, celle du Pavillon français et du Belvédère. Pour ce dernier bâtiment, le mécène se désengagera, sans explication publique.

[13] « Nicolas Hayek, « Grand Mécène » de l’Etat français » par Luc Debraine, LE TEMPS, 25.09.08. Information révélée dans la presse suisse, la presse française étant totalement atone sur le sujet.

[14] « Swatch : Décalage horaire », Stratégies Magazine n°1246, 30.08.02.

[15] Selon CONNAISSANCE DES ARTS, Breguet S.A. ne bénéficierait pas ici d’avantages fiscaux, affirmant que « la loi de 2003 sur le mécénat ne peut en effet s’appliquer à des sociétés ou des personnes qui ne paient pas d’impôts en France » in « Le Trianon, Breguet et Marie-Antoinette » par Sylvie Blin, CDA, 30.09.08. Si la société Breguet est bien suisse, elle possède cependant une filiale en France. De toutes façons, en dehors de la question des avantages, la loi sur le mécénat prévoit d’autres obligations à respecter.

[16] « Cette Breguet à complications n’a été produite qu’à un exemplaire au terme de trois ans et demi d’efforts dans la vallée de Joux. Elle n’est même pas à vendre. Nicolas Hayek attend la fin de la foire de Bâle pour prendre la décision d’en produire une ou deux par année, à un prix qui sera certainement à sept chiffres. Trois offres sont déjà arrivées sur le bureau de Nicolas Hayek, dont celle d’un richissime collectionneur chinois. Il en faudra bien davantage pour que la fabrication manuelle de cette montre en or, platine et cristal de roche ne débute. « Je n’arrive pas à me décider, concède le président de Breguet. J’ai peur que cette pièce exceptionnelle n’éclipse le reste de notre production. Il faudrait sans doute mieux s’en tenir là. » in « La légendaire montre de Marie-Antoinette renaît à la foire de Bâle » par Luc Debraine, LE TEMPS, 05.04.08. Par ailleurs, il semble que la marque eut souhaité pouvoir exposer la nouvelle montre Marie-Antoinette au public à l’intérieur même du Petit Trianon. C’est ce que laisse entendre une phrase du dossier de presse : « La montre de Marie-Antoinette est exposée pour l’occasion dans son majestueux écrin en bois du chêne de Marie-Antoinette, dans le Château de la Reine ». Dans les jours qui suivirent, interrogé sur ce point précis, le service presse du Château nous répondit qu’ils ne savaient pas encore si cela serait le cas, preuve que la question se posait.

[17] « Nicolas Hayek, Grand Mécène de l’Etat français » par Luc Debraine, LE TEMPS, 25.09.08. « Découvrir le Petit Trianon comme Marie-Antoinette l’avait quitté » par Clarisse Fabre, LE MONDE, 26.09.08.

[18] Parallèlement, le Château parviendra à faire croire que le Petit Trianon venait juste d’être remeubler comme si la Reine l’avait quitté, alors que l’aménagement inchangé datait d’il y a plus de vingt ans.

[19] « Même si le mécénat est présenté comme désintéressé, ce n’est pas tout à fait exact. Breguet a désormais le droit pendant vingt ans, à raison de trois fois par année, d’organiser des événements privés dans le Petit Trianon. Comme lieu de réception, il y a pire. Le château restauré comprend désormais un espace multimédia qui, entre autres animations historiques, ne se prive pas d’évoquer la marque horlogère, ou la fabrication de la montre. » in « Nicolas Hayek, Grand Mécène de l’Etat français » par Luc Debraine, LE TEMPS, 25.09.08. Rien à voir avec la mention de la participation de l’entreprise à l’oeuvre de restauration ce qu’autorise la loi comme l’indique l’ADMICAL : « Selon l’instruction fiscale du 26 avril 2000, l’association du nom de l’entreprise versante aux opérations réalisées par l’organisme est autorisée et ne requalifie pas l’opération en parrainage si elle se limite à la simple mention du nom du donateur, quels que soient le support et la forme, à l’exception de tout message publicitaire ». On trouve ainsi, comme il est de coutume, une plaque de marbre au nom du donateur, dans le vestibule du Petit Trianon.



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« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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