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Murakami Versailles un prix d’entrée pas kawaï

Bernard Hasquenoph |

Louvre pour tous | 26/09/2010 | 09:13 |


Pour ou contre Murakami, une chose est sûre, Versailles est cher. C’est même devenu l’un des sites culturels les plus chers au monde. Ce que nie contre toute évidence Jean-Jacques Aillagon que nous avons interrogé sur le tchat de Libération

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Kiki par T.Murakami © BH

25.09.10 | LA COMMUNICATION faite par le château autour de l’événement Murakami Versailles et le débat manichéen qui s’en est suivi (extrême-droite contre art contemporain) a permis d’occulter, entre autres questions, celle de l’accès matériel à l’exposition - 15€, ce qui en est fait l’exposition la plus chère de France - et, plus généralement, d’évoquer la tarification de cet établissement public devenu en quelques années l’un des sites culturels les plus chers au monde. Ce qui n’intéresse guère les médias. Profitant du tchat auquel a été convié dernièrement Jean-Jacques Aillagon par le journal Libération, nous lui avons posé directement la question. Le président du Château a choisi d’y répondre, nous distinguant d’un aimable Cher Bernard (M. Aillagon connaît notre passion sur la gestion du domaine qu’il préside). Si son argumentaire de VRP ne nous surprend pas - préparé, calibré, marketé -, nous restons tout de même frappé par ses approximations, ses dénégations et par sa parfaite mauvaise foi au sujet de la forfaitisation forcée du billet d’entrée (obligation d’acheter l’audioguide et de payer en plus de la visite du château pour toutes les expositions temporaires, même distinctes). Extrait du tchat puis décryptage.

Bernard. 15€ pour accéder au château et à l’expo Murakami, n’est-ce pas cher pour un établissement public soumis à un devoir de démocratisation culturelle ?
J.-J. Aillagon - Cher Bernard, je vous signale que l’établissement public de Versailles, contrairement à tous les autres établissements du ministère de la Culture, ne reçoit pas de subventions de fonctionnement de l’Etat. Toutes les ressources qu’il mobilise pour financer ses activités patrimoniales et culturelles, il les tire de ses recettes propres, essentiellement la billeterie, les concessions, et le mécenat. 15 euros par rapport aux tarifs pratiqués par d’autres grands monuments européens, ça reste dans la norme. De surcroît, à Versailles, pour le prix d’entrée au Château, on accède, sans tarification supplémentaire, aux expositions temporaires, on se voit remettre, sans paiement supplémentaire, un audioguide, et cela en douze langues possibles. Ce qui ne se passe dans aucun autre établissement. Je vous signale que Monet aux Galeries Nationales du Grand Palais, c’est 12 euros, auxquels il faut ajouter 5 euros pour un audioguide. Par ailleurs, il faut encore rappeler que 40% environ des visiteurs du château le visite gratuitement, s’agissant notamment des moins de 25 ans révolus.
Extrait du tchat avec Jean-Jacques Aillagon, LIBÉRATION | 15.09.10

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Kaikai & Kiki par T.Murakami à Versailles © Bernard Hasquenoph


« Cher Bernard, je vous signale que l’établissement public de Versailles, contrairement à tous les autres établissements du ministère de la Culture, ne reçoit pas de subventions de fonctionnement de l’Etat. Toutes les ressources qu’il mobilise pour financer ses activités patrimoniales et culturelles, il les tire de ses recettes propres, essentiellement la billeterie, les concessions, et le mécénat. »

A vous entendre, cher Jean-Jacques, on a l’impression que, de cette subvention supprimée en 2002 sous la présidence de Hubert Astier et qui s’élevait en 2001 à 1M€, dépendrait l’entière survie de Versailles [1]. Mais il semble bien que ce manque à gagner ait été depuis largement compensé par l’accroissement spectaculaire des ressources propres de l’établissement, ce qui devait justifier d’ailleurs cette suppression. Pour 2009, lors de votre dernière conférence de presse, n’annonciez-vous pas plus de 50M€ de ressources propres, soit une augmentation de plus 66% depuis 2001 avec 20M€ supplémentaires [2] ! Par ailleurs, l’année dernière, dans une interview accordée à easybourse.com, Denis Berthomier, votre administrateur, indiquait que les recettes de billetterie, principale ressource de Versailles, étaient équivalentes à celle du musée du Louvre avec deux fois moins de visiteurs. Combien d’établissements rêveraient de tels gains « bien supérieur(s) aux autres musées comparables » selon M. Berthomier !

Mais à force de répéter votre antienne, certains ont la naïveté de croire que Versailles serait comme livré à lui-même. Abandonné, au point d’être obligé de faire l’aumône auprès du particulier pour restaurer ses bancs. Ce qui est tout aussi inexact puisque l’Etat assume toujours la rémunération des fonctionnaires y travaillant (20 M€ en 2009) et alloue chaque année au domaine une subvention d’investissement (25,8 M€ en 2009) [3]. Sans oublier la compensation accordée pour la récente gratuité des moins de vingt-six ans et des enseignants (4,9 M€ en 2009). A quoi, s’ajoutent plusieurs subventions reçues par le Château de Versailles de la part de différents organismes pour des projets précis (Conseil Général des Yvelines, Agence de l’eau Seine-Normandie, CNASEA, autres ministères que celui de la Culture, ministère de la Culture pour Marly, Fonds du Patrimoine, Mission de la Recherche et de la Technologie...)

Aussi, a-t-on a du mal à comprendre et à trouver presque indécent cette continuelle fringale d’argent de votre établissement qui justifierait ce prix très élevé du billet d’entrée. D’autant que l’argent récolté n’est pas uniquement consacré aux « activités patrimoniales et culturelles » du domaine comme vous le dîtes mais également à son fonctionnement courant, semble-t-il, de plus en plus coûteux.

« 15 euros par rapport aux tarifs pratiqués par d’autres grands monuments européens, ça reste dans la norme. »

Affirmation démentie par la réalité puisque Versailles, que ce soit avec ce tarif de base de 15€ (+10€ pour le Domaine de Marie-Antoinette) ou la formule Passeport oscillant entre 18 et 25€, s’installe dans le top five des sites culturels les plus chers de France et du monde, votre établissement se retrouvant au même niveau que le MoMA de New-York dont le nouveau prix avait fait scandale à sa réouverture en 2004. Affirmation d’autant plus incongrue venant de quelqu’un qui préside l’association des résidences royales européennes siègeant à Versailles qui a l’honneur d’être le site le plus cher de la liste, à égalité avec le Palais royal de Hampton Court en Grande-Bretagne mais qui le dépasse avec sa formule Passeport, la moyenne se situant plutôt autour des 9€.

« De surcroît, à Versailles, pour le prix d’entrée au Château, on accède, sans tarification supplémentaire, aux expositions temporaires, on se voit remettre, sans paiement supplémentaire, un audioguide, et cela en douze langues possibles. Ce qui ne se passe dans aucun autre établissement. »

Là, Jean-Jacques, permettez-nous de vous trouver d’une parfaite mauvaise foi. A moins que ce soit une provocation. Encore heureux que les autres établissements ne vous imitent pas (encore) ! Vous savez parfaitement que si tout visiteur, aujourd’hui à Versailles, dispose avec son billet d’un audioguide et accède aux expositions temporaires « sans tarification supplémentaire », c’est parce que vous et vos prédécesseurs avez inclus de force le coût de ces prestations dans le billet d’entrée, en l’augmentant de manière conséquente... 100% en 4 ans !

Dois-je vous rappeler qu’en 2005, le billet d’entrée au château était de 7,5€ puisque l’audioguide à 6€ était encore optionnel. La grande exposition temporaire, elle, était, accessible pour 8€ sans qu’on soit obligé de payer pour la visite du château. Aujourd’hui, le visiteur doit s’acquitter de 15€ qu’il veuille ou non l’audioguide, qu’il souhaite ou pas visiter l’exposition temporaire (quand celle-ci est séparée du circuit général de visite). Et inversement, le visiteur qui voudrait venir voir la seule exposition (comme prochainement sur les Sciences à la Cour de Versailles) est obligé de payer pour la visite du château et l’audioguide. Où est le progrès ? Cela s’apparente ni plus ni moins qu’à du racket, l’usager - le « client » dans la nouvelle terminologie de l’établissement pourtant public - n’ayant plus aucun choix.

Pourquoi ne mentionnez-vous pas non plus, dans votre nouvelle tarification, la suppression de la réduction en fin d’après-midi, la suppression des tarifs basse saison, l’éradication progressive des zones de gratuité, l’augmentation du prix des visites guidées, la suppression de la gratuité pour les enfants de plus de 6 ans pour les Grandes Eaux quand ceux de 3 à 5 ans paient désormais pour d’autres prestations... comme à Disneyland, etc ? Enfin étonnant que vous n’ayez pas fait la promo de votre carte d’abonnement, initiative intéressante si elle ne concurrençait pas directement la Société des Amis de Versailles !

« Je vous signale que Monet aux Galeries Nationales du Grand Palais, c’est 12 euros, auxquels il faut ajouter 5 euros pour un audioguide. »

Comment comparer une exposition temporaire de 4 mois, exceptionnelle par les prêts d’oeuvres dont elle bénéficie (et des frais d’assurance afférents) à un monument historique visitable à l’année. Pourquoi ne citez-vous pas les 9,50€ du musée du Louvre et du château de Chambord, ou les 8€ du musée d’Orsay et du château de Blois ? Versailles est un des sites les plus chers de France, c’est un fait. Doit-on, en outre, vous rappeler votre devoir, en tant qu’établissement labellisé Musée de France, de proposer des tarifs abordables pour le plus grand nombre [4] ? Une politique de démocratisation culturelle passe aussi par le prix.

« Par ailleurs, il faut encore rappeler que 40% environ des visiteurs du château le visite gratuitement, s’agissant notamment des moins de 25 ans révolus. »

Cher Jean-Jacques, permettez-nous d’avoir quelque doute sur ce chiffre quand en 2005, il y a seulement cinq ans, votre établissement annonçait 3% de gratuités, puis, pour la même période, entre 20 et 22% pour finir début 2010 à prétendre à 40% (lire ici) ! On veut bien que la mesure accordée depuis avril 2009 aux moins de 26 ans et aux enseignants ait augmenté ce pourcentage mais à ce point... D’autant que le ministère de la Culture, dans une récente étude sur la fréquentation de ses établissements publics, indique, pour 2009, 30% de gratuités à Versailles ! Mais vous savez ce qu’on pense de vos chiffres de fréquentation gonflés à l’hélium et variables selon les documents. Ainsi, dans cette même étude du ministère, votre établissement a gagné presque 300 000 visiteurs en 2009 sur celui que vous avez fait connaître officiellement début 2010 [5]. Aussi, attend-on avec impatience que vous daigniez mettre en ligne le dernier rapport d’activité du Château de Versailles qui, neuf mois après 2009, ne l’est toujours pas (Il suffisait de demander : aujourd’hui 7 octobre, nous le trouvons enfin en ligne ainsi que ceux depuis 2003, sachant que les rapports antérieurs à l’arrivée de M. Aillagon en 2007 avaient disparu à sa prise de fonction).

En conclusion

On est franchement surpris par les réponses du président du Château de Versailles qui ne correspondent pas vraiment à la réalité. Mais l’avantage d’un tchat pour son invité, en plus de faire moderne - câblé aurait-on dit François Mitterrand - et de paraître ouvert au dialogue c’est qu’il ne permet justement aucune répartie de l’internaute. Ainsi peut-on raconter n’importe quoi sans souci d’être contredit. Et avec le privilège de pouvoir sélectionner les questions. Ainsi, cette autre que nous avions posée et qui n’a pas été retenue, on se demande bien pourquoi :

« M. Aillagon, vous indiquez que l’exposition Murakami Versailles a couté 2,5 millions d’euros en étant principalement mécénée par le Qatar. A hauteur de combien ? et qui a financé le reste ? »...

:: Bernard Hasquenoph |

:: Louvre pour tous | 26/09/2010 | 09:13 |

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NOTES

[1] La subvention de fonctionnement du ministère de la Culture au Château de Versailles s’élevait en 2001 à 1M€ soit 4% des recettes de l’établissement, 1,3M€ en 2000, 2,2M€ en 1998.

[2] Le rapport d’activité 2001 du Château de Versailles indique 30M€ de ressources propres.

[3] L’Etat, depuis 2003, finance le chantier du Grand Versailles pour un coût de 500M€ étalé sur 17 ans.

[4] « Les droits d’entrée des musées de France sont fixés de manière à favoriser leur accès au public le plus large » loi du 4 janvier 2002 sur le label Musée de France.

[5] Le dossier de la conférence de presse annuelle du président du domaine de Versailles début février 2010 indiquait 5,4 millions de visiteurs pour l’année 2009 (p.53). L’étude du ministère de la Culture indique 5 660 000 visiteurs (p.7) arrondi à 5,7 millions !



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« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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