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L’Hôtel-Dieu de Paris, monument deux en un

Bernard Hasquenoph | 8/03/2021 | 22:09 |


L’hôpital construit au 19e siècle aux abords de Notre-Dame est l’objet de deux projets de restructuration distincts, menés par des équipes d’architectes différentes. L’un concerne son volet hospitalier, l’autre une partie privatisée. De quoi engendrer interrogation et confusion. Et raviver le passé.

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Hôtel-Dieu, cour d’entrée

08.03.2021 l En 2016, le rapport Bélaval-Perrault, réponse à la mission confiée par l’Elysée d’imaginer le futur de l’Île de la Cité parisienne, préconisait de « désenclaver » l’Hôtel-Dieu et d’en transférer l’entrée côté Palais de justice, pour faire de cette esplanade (qui a, de par une histoire topographique complexe, statut de rue), le centre de l’île que ses auteurs comparaient de manière audacieuse à la place Saint-Marc de Venise. Ils suggéraient également d’agrandir le bâtiment en sous-sol, de rendre accessibles ses jardins et ses cours intérieures qui seraient alors couvertes de verrières et d’installer un pôle d’accueil et de services à l’attention des nombreux touristes du quartier, côté parvis Notre-Dame.

Si Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux (CMN), et Dominique Perrault, célèbre architecte, se permettaient d’inventer le devenir d’un hôpital, fleuron de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), c’est qu’ils savaient qu’il était en pleine mutation et que ses espaces dédiés aux soins se réduiraient dans un futur proche. A rebours de l’accusation de commercialisation de l’île qu’on lui imputait, le rapport avançait l’idée que pourrait s’y nicher « une partie des collections des musées de médecine de Paris, inaccessibles au public depuis de longues années ».

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Esplanade entre le Palais de Justice et l’Hôtel-Dieu, rue de Lutèce, Paris, 2019 & 2020

Un souhait qui avait failli se réaliser, quand le musée de l’AP-HP avait fermé en 2012, du fait de la vente de l’hôtel de Miramion, ancienne Pharmacie centrale qui l’abritait depuis sa création en 1934 sur la rive gauche de la Seine [1]. La direction de l’AP-HP projeta de le transférer à l’Hôtel-Dieu, lui-même en réorganisation, prévoyant de lui octroyer 2 400 m² sur deux niveaux (dont 1500 pour les collections permanentes), à l’angle sud-est du bâtiment, donnant à la fois sur le parvis et sur la façade de Notre-Dame, avec librairie-boutique, restauration légère et espaces pédagogiques [2]. A la grande satisfaction de l’Association des Amis du Musée de l’AP-HP (ADAMAP), fortement mobilisée, qui militait en ce sens.

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Hôtel de Miramion l Musée de l’AP-HP, 2006, Ignis CC BY-SA 3.0

Un choix judicieux dans l’hôpital le plus ancien de Paris (sur le papier, pas par ses bâtiments datant de l’ère haussmannienne), à un endroit central de la capitale très fréquenté par les touristes. Il ne s’agissait pas d’une vague promesse comme cela a pu être dit, une équipe était constituée pour mener à bien le projet, un rapport d’implantation avait été rédigé et un partenariat imaginé avec le CMN pour proposer au public une offre de visite combinée avec ses sites voisins de la Sainte-Chapelle ou des Tours de Notre-Dame. La date de réouverture du musée était programmée pour 2018. L’éviction en 2013 de la directrice générale de l’AP-HP, Mireille Faugère, suite aux polémiques déclenchées par sa volonté de fermer les urgences de l’Hôtel-Dieu, entraîna l’abandon du projet par son successeur Martin Hirsch. Depuis, les collections végètent dans les sous-sols de l’hôpital de Bicêtre dans le Val-de-Marne.

UN BAIL DE 80 ANS POUR UN LOYER DE MILLIONS D’EUROS
Fin 2017, l’AP-HP lança un appel à projets urbains innovants pour céder pendant 80 ans sous forme de bail emphytéotique - et non vendre, insiste l’institution - un tiers de la surface de l’Hôtel-Dieu, soit environ 17 000 m² dans sa partie sud/sud-ouest. Ceci, afin d’« y voir se développer, en lien avec la Ville de Paris, des activités cohérentes avec la vocation d’ensemble du site, tourné vers la valorisation de la santé » [3]. Le souhait de l’institution est très clairement de valoriser économiquement cette surface « sur la base d’un programme innovant, dans une démarche socialement responsable » (ce qui n’est pas nécessairement contradictoire), de l’ouvrir sur la ville et de mettre en valeur son patrimoine [4]. Une exception au sein de l’AP-HP, quatrième propriétaire foncier d’Île-de-France, engagée depuis une dizaine d’années dans une refonte de son parc immobilier qui passe plutôt par la vente pure et simple, afin de combler son déficit et financer la modernisation de ses équipements.

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Hôtel-Dieu depuis le parvis Notre-Dame et cour d’entrée

La partie de l’Hôtel-Dieu concernée est la plus prestigieuse puisqu’elle donne sur le parvis Notre-Dame, entrée historique de l’hôpital débouchant sur sa première cour jardinée se prolongeant par la grande cour centrale (en partie affectée au candidat avec son sous-sol) bordée de galeries à arcades d’inspiration florentine. Le lauréat disposera en outre des bâtiments abritant trois cours latérales, les deux premières cours de service et une cour autrefois promenoir côté rue de la Cité.

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Plan de l’Hôtel-Dieu, d’après Félix Narjoux, 1880

En mai 2019, parmi les cinq candidatures retenues (dont l’une comptait Dominique Perrault), c’est la société Novaxia, spécialisée en projets de transformation immobilière (elle participe notamment à la reconversion de la Poste du Louvre), qui fut choisie contre 144 millions d’euros de redevance d’exploitation (241 sur la durée du bail) et la prise en charge des travaux d’aménagement estimés à 150 millions. Elle propose un mix entre des activités liées à la santé sur 10 000 m² (incubateur pour biotechnologies, design médical, maison d’associations de patient·es, événementiel scientifique et culturel), de l’habitat solidaire (résidence sociale étudiante, maison du handicap, crèche associative) et une offre commerciale (restaurant gastronomique, café, food court, commerces).

Un certain nombre de ces activités étaient suggérées par l’AP-HP comme la crèche ou la résidence étudiante. On se demande pourquoi le musée n’aurait pas pu s’intégrer à un tel projet dont il aurait été complémentaire et vu le peu de place qu’il aurait prise. Rappelons, 2 400 m² sur 17 000 m² (devenu entre-temps 20 000 m² selon le lauréat), avec un partage possible d’espaces prévus dans les deux cas comme une boutique et un point restauration. C’est d’autant plus étonnant que l’AP-HP souhaitait la valorisation patrimoniale et historique du site de l’Hôtel-Dieu.

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Hôtel-Dieu de Paris, 2020

Novaxia, maître d’ouvrage de l’opération, a confié à l’agence Architectures Anne Démians le soin de penser la restructuration, accompagnée « dans sa réflexion immobilière sur le patrimoine » de l’architecte en chef des Monuments Historiques Pierre-Antoine Gatier. Ce qui ne relève pas d’une obligation légale puisque l’Hôtel-Dieu n’est pas classé, ni même inscrit [L’Hôtel-Dieu de Paris est désormais inscrit aux Monuments historiques (Le Parisien, 23.04.2023)]. Un choix qui s’est imposé à l’équipe, nous répond-t-on, « compte tenu de la qualité patrimoniale de l’ensemble ». Le programme l’indique, se voulant rassurant : « Le projet ne modifie en rien la structure historique du bâtiment existant, mais revisite entièrement ses espaces (...) Lʼenjeu dʼun tel projet est dʼinstaller un équilibre adroit entre la structure historique des bâtiments existants et un programme chargé en nouvelles destinations ».

LE PROJET NOVAXIA OUVERT SUR LA VILLE
L’équipe prévoit d’ouvrir davantage le site vers l’extérieur, créant, via l’une des cours latérales côté rue de la Cité, une large entrée pour accéder au pôle santé et innovation, ce qui reprend l’idée du rapport Bélaval-Perrault de clore l’esplanade face au Palais de Justice. Une autre entrée sera possible côté rue d’Arcole, pour accéder au pôle habitat autour d’une ancienne cour de service, dans le prolongement logique du quartier Chanoinesse, le seul véritablement habité de l’île avec la place Dauphine.

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Hôtel-Dieu, côté rue de la Cité © Architectures Anne Démians / Novaxia

L’accès à l’hôpital fonctionnel relégué côté Seine, quai de la Corse, l’entrée actuelle donnant sur le parvis Notre-Dame permettra à tout le monde, touristes comme Parisien·nes, de découvrir un monument largement méconnu, sa partie la plus créative architecturalement se trouvant en son coeur. Après le vestibule, on pénétrera dans la cour d’entrée revenue à son état d’origine, minérale, servant notamment de terrasse de café.

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Hôtel-Dieu, cour d’entrée, 2020 l Même endroit © Architectures Anne Démians

Puis, en montant quelques marches, on accédera à la longue cour centrale re-végétalisée et agrémentée de points d’eau, sous laquelle sera construit un auditorium amovible. On pourra déambuler sous les galeries de côté et parvenir dans les deux premières cours de services recouvertes de verrières, abritant commerces et services.

<h6>Hôtel-Dieu, cour d'honneur, 2020 l Même endroit © Architectures Anne Démians</h6>

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Hôtel-Dieu, cour d’honneur & galerie l Mêmes endroits © Architectures Anne Démians

Le projet Novaxia/Anne Démians a été salué par la revue d’architecture de référence D’A qui y voit « une programmation mixte totalement allogène dans cet agencement mécanique à l’origine implacablement conçu pour soigner les corps malades » [5]. La partie boutiques accompagnant le programme ne choque pas spécialement sa rédaction, vu que, selon elle, « cela est désormais la norme » dans ce type d’opération. Avant même d’être réalisée, la proposition a été primée par l’association Le Geste d’or qui récompense chaque année les chantiers du patrimoine bâti, de l’aménagement urbain et paysager. En 2020, Novaxia a reçu la distinction Geste d’argent pour la programmation et la restructuration future de l’Hôtel-Dieu.

CONTRE LA PRIVATISATION D’UN ESPACE PUBLIC
Hors milieu de l’architecture, la proposition de Novaxia va susciter des critiques de différentes natures, avec en commun de rejeter un projet perçu comme commercial. Non sans caricature quand l’attention se focalise sur le restaurant gastronomique annoncé ou les boutiques (forcément de luxe alors que rien ne l’indique), seuls espaces réellement commerciaux du projet qui ne représentent pourtant qu’un quart de la surface cédée, soit 10% de l’Hôtel-Dieu selon l’institution. Quand ce n’est pas l’ensemble du programme qui est taxé de « centre commercial » [6].

Première critique, de principe, de loin la plus audible : le refus de diminuer la surface allouée aux soins et la dénonciation d’une privatisation d’un espace public. Elle émane de la CGT Hôtel-Dieu de Paris, de l’élue parisienne Danielle Simonnet (FI) ou du médiatique Dr Gérald Kierzek qui travaille aux urgences, fondateur de l’association Hôtel-Dieu Hôpital pour tous. Deux versions s’affrontent, l’une qui dénonce une braderie de l’hôpital, l’autre, l’officielle, qui affirme qu’on le sauve. Seconde critique : rejet du programme proposé au profit d’activités à caractère plus sociales comme la prise en charge des démuni‧es (celles qui le sont pourtant, étant déclarées insincères) ; ou plus culturelles comme l’implantation d’un musée de l’Oeuvre Notre-Dame ou de Santé.

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Food court et audiorium, Hôtel-Dieu © Architectures Anne Démians / Novaxia

Ces critiques se retrouvent en vrac dans deux tribunes publiées dans Le Monde à un an d’intervalle (11.07.2019 / 15.06.2020), signées par différentes personnalités, essentiellement historien·nes pour la première, plutôt du secteur caritatif pour la seconde. Est-ce pour infléchir le programme Novaxia dans le sens de quelques-unes de ces critiques, qu’en juillet 2020, Ariel Weil, maire (PS) de Paris Centre, proposa de « renforcer sa vocation médicale avec l’idée d’un centre d’accueil des victimes et d’y créer des logements pour les soignants » ?

Si les propositions contenues dans ces tribunes ont toute leur légitimité, la première s’inscrivait dans une veine assez complotiste, quand elle reprochait à l’AP-HP « une précipitation étonnante » pour désigner un lauréat après l’incendie de Notre-Dame d’avril 2019 alors qu’au contraire, la réponse à l’appel à projets aurait dû intervenir bien plus tôt, fin 2018. Le choix de Novaxia en mai 2019 nourrit la suspicion sur les réseaux sociaux (ici/), alors que le gouvernement préparait une loi d’exception pour la restauration de Notre-Dame, incluant la possibilité de dérogations, notamment concernant ses abords, c’est-à-dire le square Jean XXIII, la rue du Cloître-Notre-Dame et bien entendu le parvis... sur lequel s’ouvre l’Hôtel-Dieu.

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Hôtel-Dieu, côté parvis Notre-Dame © Architectures Anne Démians / Novaxia

Dans une autre tribune publiée dans FigaroVox, trois historien·nes de renom à la tête de la Société des Amis de Notre-Dame (Jean-Michel Leniaud, Philippe Plagnieux et Françoise Vieilliard), faisaient part explicitement de leur crainte, évoquant l’« inquiétant dessein » de l’AP-HP pour l’Hôtel-Dieu et s’interrogeant sur son impact pour le parvis. Faisant fi des intentions pourtant clairement exprimées par l’architecte Anne Démians dans son programme - « Afin de ne pas perturber le fonctionnement du nouvel Hôtel-Dieu, côté Parvis, par trop dʼaffluence touristique, seuls les 2 accès historiques de part et dʼautre du pavillon central retrouveront leur usage dʼorigine. La façade gardera son intégrité dʼorigine » -, les signataires poursuivaient, glissant de la suspicion à l’accusation fantasmatique : « On comprend mieux les dessous cachés du projet de loi que le Parlement doit voter en urgence ». On a observé le même phénomène à propos de la prétendue galerie commerciale qui devait être construite sous le parvis...

« IL NE FAUT PAS DÉTRUIRE LE PLUS UTILE ET LE PLUS GLORIEUX DES HÔPITAUX DE PARIS »
Si la désaffection partielle de l’Hôtel-Dieu semble aujourd’hui devoir aboutir, ce n’est pas la première tentative. Dans les années 1950, la Préfecture de police de Paris songea sérieusement à investir les locaux de l’Hôtel-Dieu afin d’y regrouper différents de ses services dispersés dans la capitale, proposant de transférer l’hôpital dans un nouveau bâtiment à construire en banlieue, dans un environnement plus sain. Ce qui agréait la direction de l’Assistance publique qui voyait là un bon deal, considérant que « la modernisation [de l’Hôtel-Dieu ancien] entraînerait la perte de la moitié de sa capacité au prix de plusieurs milliards » [7]. En septembre 1956, à peine la nouvelle sue, un grand professeur de médecine signa une tribune d’opposition dans Le Monde, relayant « l’émotion du corps médical » [8]. Cependant, la désaffection n’aurait pas été complète puisque les consultations externes et les urgences réaménagées après la Libération, seraient restées dans le bâtiment historique, le scindant en deux parties.

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La préfecture de police de Paris vue depuis l’Hôtel-Dieu
Statue de Dupuytren par Max Barneaud dans la cour centrale, protégée des peintures des étudiant·es en médecine

Le Conseil municipal de Paris, très divisé sur la question et furieux d’avoir découvert le projet par voie de presse, accepta néanmoins, après d’intenses discussions, d’engager des études de faisabilité [9]. A la condition expresse que cela n’engage en rien la Ville sur la réalisation possible du transfert. Les personnes opposées mettaient en avant la position centrale de l’Hôtel-Dieu dans la capitale, sa proximité pour les habitant·es et les étudiant·es en médecine, son caractère historique, les investissements financiers engagés depuis des décennies pour son entretien... Les favorables au transfert rappelaient que, dès sa reconstruction au 19e siècle, il avait été critiqué pour son environnement urbain toxique.

La grogne montait aussi parmi le personnel de l’Hôtel-Dieu. Au point qu’une conférence de presse d’opposition fut organisée en 1957 par ses 15 chefs de service avec pour porte-parole le chef de clinique ophtalmologique de l’hôpital : « Il ne faut pas détruire le plus utile et le plus glorieux des hôpitaux de Paris, celui qui a donné son nom à tous les Hôtel-Dieu du monde » [10]. Le projet finit aux oubliettes. Au grand regret du défenseur du patrimoine Yvan Christ, historien de l’art et journaliste qui, en 1958, revenait sur l’événement dans la revue de l’association Sites & Monuments : « Il y a quelque temps, une polémique s’est engagée entre ceux qui, comme moi, étaient partisans de la désaffection partielle des bâtiments sans grâce de l’Hôtel-Dieu qui auraient été occupés par des services de la Préfecture de Police, et ceux qui, au nom d’une tradition plus que millénaire, s’élevaient contre le départ de la Cité du vénérable hôpital » [11].

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La Croix, 16.03.1957 l Banderole de protestation sur la façade, mai 2016 par Als33120, CC BY-SA 4.0

Dans les années 2000, des projets de réorganisation de la direction de l’AP-HP menacèrent à nouveau l’Hôtel-Dieu de désaffection. Au point que l’Etat envisagea d’y transférer des services du ministère de la Justice, trop à l’étroit dans le Palais de Justice voisin. Ce fut l’un des scénarios possibles de déménagement du Tribunal de grande instance de Paris, celui qui avait les faveurs des avocat·es. Là encore, cela ne choquait pas spécialement l’association de défense du patrimoine Sites & Monuments : « Le départ de l’établissement hospitalier est peut-être inévitable en lui-même. Il s’agirait alors d’un événement important dans l’histoire de l’Île de la Cité. Mais, nul doute, que la qualité de la composition architecturale de l’Hôtel-Dieu serait tout à fait appropriée à l’image de la Justice » [12]. Tout en regrettant plus tard que « ce départ enlèverait à l’île de la Cité une part de son âme déjà bien malmenée lors des transformations faites au XIXe siècle » [13]. L’Etat renonça finalement à cette solution, à laquelle était également opposé le maire de Paris, Bertrand Delanoë. L’AP-HP pensa ensuite y installer son siège, ainsi que son musée...

« UN MASSACRE PATRIMONIAL » SELON LA COMMISSION DU VIEUX-PARIS
En 2019, quelque temps après le choix de Novaxia, des critiques d’ordre patrimonial se sont fait jour, portant cette fois sur le volet hospitalier de la réorganisation de l’Hôtel-Dieu, concernant deux-tiers de sa surface côté Nord, soit 32 000 m². Cette transformation avait été confiée en 2017 au bureau d’étude SETEC associé à l’agence d’architecture SCAU accompagnée de l’architecte en chef des monuments historiques Daniel Lefèvre, pour une livraison en 2023 et un coût de 58,3 M€(HT). Un projet moins médiatisé que la partie Novaxia, et moins polémique au départ, sans doute parce qu’il ne rompt pas avec la vocation originelle de l’institution. Il s’agit de moderniser ses espaces médicaux.

La charge, sévère, émana en novembre de la Commission du Vieux-Paris, organisme consultatif pour la municipalité. Considérant qu’il s’agissait ni plus ni moins que d’une « opération de vandalisme architectural », ses membres enjoignaient la Mairie de Paris à s’opposer au permis de construire, en donnant un avis négatif auprès de la préfecture. Dénonçant une « défiguration » et un « massacre patrimonial », la commission se disait « scandalisée par le projet de construction de bâtiments massifs de quatre étages, élevés à hauteur des ailes historiques dans deux des cours Arcole », structures modernes par où on accéderait notamment aux urgences [14].

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Hôtel-Dieu, premier projet rue d’Arcole © SCAU Architecture l Site en 2020

L’AP-HP se défendit en affirmant que les activités médicales prévues à cet endroit ne pouvaient être accueillies dans les bâtiments historiques de l’hôpital « selon les standards actuels de prise en charge médicale » [15]. Elles étaient jusque là abritées dans les extensions construites au 20e siècle dans les cours, désormais vouées à disparaître. A la différence que ces dernières, peu élevées, étaient quasi invisibles de la rue, masquées par le mur d’enceinte.

Autres sujets d’inquiétude exprimée par la commission dès avril 2018 ce qui la conduisit à effectuer une visite sur place le mois suivant, plusieurs transformations en vue. SCAU compte supprimer de la façade quai de la Corse la grande porte bleue surmontée d’une grille de même couleur, pour la remplacer, ainsi que les deux fenêtres l’encadrant, par trois arcades vitrées qui constitueraient la nouvelle entrée de l’hôpital. Même design pour un accès rue de la Cité.

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Hôtel-Dieu, quai de la Corse, 2020 l Projet © SCAU Architecture

Si la nouvelle proposition est séduisante, la porte en question (j’ignore si elle est d’origine) possède un cachet incontestable, on la retrouve d’ailleurs comme décor dans plusieurs films du Paris Belle Epoque. Ceci dit, l’entrée actuelle sur le parvis Notre-Dame a perdu pareillement sa porte d’origine. La commission déplorait également la disparition des murs de clôture des deux cours donnant sur la rue d’Arcole, chose sur laquelle reviendra partiellement le projet, et la pose de vitrage sur les arcades de la cour principale [16].

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Hôtel-Dieu, entrée parvis Notre-Dame, carte postale ancienne & 2020

Au-delà de tous ces éléments particuliers, ce qui choquait plus fondamentalement la commission, c’était la rupture d’unité de l’Hôtel-Dieu avec la création de deux parties séparées - l’hospitalière et la « commerciale » -, qui plus est confiées à deux groupes d’architectes différents. Ce qui, en effet, est assez curieux pour un seul et même monument. L’AP-HP répondit qu’il avait été évidemment demandé aux candidats de la partie privatisée « de s’articuler avec le projet hospitalier et de proposer les meilleures synergies fonctionnelles et architecturales », le tout sous le contrôle de l’architecte des bâtiments de France (sic), entendez Daniel Lefèvre.

TRANSFORMATIONS A TOUS LES ÉTAGES
Pour autant, si l’enveloppe extérieure de l’Hôtel-Dieu semble avoir peu changé depuis sa construction, il n’en est pas de même de ses espaces intérieurs, comme on l’a suggéré à plusieurs reprises. Depuis sa mise en service en 1877, comme pas mal d’hôpitaux, il a subi nombre de modifications. Les volumes intérieurs ont été entresolés et réaménagés plusieurs fois, faisant disparaître, notamment, les dortoirs initiaux. Dans les chambres, le parquet a été remplacé par du carrelage.

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Hôtel-Dieu, salle pour hommes, carte postale ancienne l Entresol, 2020

Les cours ont beaucoup évolué. A l’origine engazonnées, arborées et agrémentées de bassins avec jet d’eau, les quatre cours principales latérales, conçues pour servir de promenoirs aux malades (les hommes d’un côté, les femmes de l’autre comme tout l’hôpital) ont peu à peu laissées place à des extensions basses, invisibles côté rue d’Arcole, faisant sauter partiellement le mur d’enceinte côté rue de la Cité.

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Hôtel-Dieu, extension rue de la Cité l Salle d’opération dans une cour, carte postale ancienne

Premier de la série à être construit, le pavillon de physiothérapie avec sa voûte en cabochons de verre, ultra-moderne pour l’époque, qui fut inauguré en 1935 par le ministre de la Santé en personne. Un événement couvert par toute la presse.

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Inauguration du service de physiothérapie de l’Hôtel-Dieu de Paris, 12 août 1935, articles de presse

La cour d’honneur centrale a vu disparaître ses plates-bandes sur toute sa longueur, son sol remplacé par des plaques de verre, pas du meilleur effet. A l’inverse, sa cour d’entrée, à l’origine minérale et qui servait de parking, a été aménagée en jardin avec fontaine en 1975.

ANNE HIDALGO REJETTE L’IDÉE D’UN CLASSEMENT DE L’HOTEL-DIEU
Suite à l’avis négatif de la Commission du Vieux-Paris, la maire de Paris, Anne Hidalgo, adressa le 12 décembre 2019 un courrier à Martin Hirsch demandant que le projet hospitalier ne porte « aucune atteinte irréversible à l’intégrité patrimoniale de l’Hôtel-Dieu ». Ce qui doit être techniquement possible pour les adjonctions prévues dans les cours, comme cela l’était pour les annexes plus anciennes aux mêmes endroits. Ce qui donna l’impression qu’elle prenait ses distances vis-à-vis du projet de transformation de l’Hôtel-Dieu, sa critique ne concernant pas du tout la partie Novaxia. En tout cas, c’est ainsi que cela fut traduit par certains médias perdant un peu leur lectorat entre les deux projets [17].

En réalité, la maire de Paris désapprouvait si peu, ce que montrait bien, d’ailleurs, la réaction de Martin Hirsch sur Twitter. Le lendemain, au Conseil de surveillance de l’AP-HP dont elle est présidente, elle réaffirmait « son plein soutien à l’ambitieux projet de transformation de l’Hôtel-Dieu, et en particulier au projet hospitalier » [18]. Et elle rejetait l’idée de voir classer l’Hôtel-Dieu au titre des monuments historiques comme le réclamait obstinément la Commission du Vieux-Paris depuis mai 2018, demande à laquelle l’AP-HP était restée sourde. « Il rendrait difficile la réalisation de ce grand projet de transformation au service de la Santé des Parisiens », déclarait la maire [L’Hôtel-Dieu de Paris est désormais inscrit aux Monuments historiques (Le Parisien, 23.04.2023)]. Cet été, les travaux de démolition des extensions des deux cours Arcole ont fait le vide pour le futur chantier.

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Démolition des extensions, cours Arcole, Hôtel-Dieu de Paris, août 2020

Début 2021, la Commission du Vieux-Paris a renouvelé sa composition, la mairie nommant un nouveau président en la personne de Jean-François Legaret, ancien maire d’opposition. Dans une interview au Parisien, celui-ci a réagi aux critiques sévères de l’ancienne équipe concernant le volet hospitalier de transformation de l’Hôtel-Dieu, en évoquant... la partie privatisée : « Le projet pour l’Hôtel-Dieu est très dépassé. Il faudra y revenir. La proximité entre l’Hôtel-Dieu et la cathédrale après le drame et l’émotion planétaire de l’incendie, justifierait d’implanter dans ces lieux gérés par l’AP-HP un projet pédagogique et historique rappelant tous les symboles attachés à l’île de la Cité, berceau de Paris ».

:: Bernard Hasquenoph | 8/03/2021 | 22:09 |

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NOTES

[1] L’hôtel de Miramion fut vendu à Xavier Niel pour 35,1 millions d’euros.

[2] Contribution à la préparation du dossier d’implantation du musée de l’AP-HP sur le site de l’Hôtel-Dieu, rapport de mission par Yves Harel, 12.2012.

[3] « Projet de transformation de lʼHôtel-Dieu : lʼAP-HP publie un appel à projets urbains innovants pour la partie « Parvis » », communiqué de presse AP-HP, 14.01.2017.

[4] Communication de l’AP-HP, débat sur les projets de transformation de l’Hôtel-Dieu à l’initiative de l’association de quartier Aux 4 coins du 4, mairie du IVe, Paris, 10.01.2018.

[5] D’A, 21.11.2019.

[6] « L’Hôtel-Dieu sera en partie vendu à des intérêts privés, transformé en centre commercial », La Tribune de l’Art, 21.04.2020.

[7] Le Monde, 19.12.1956.

[8] Professeur André Lemaire, « L’Hôtel-Dieu conservera-t-il son emplacement séculaire ? », Le Monde, 21.09.1956.

[9] BMOVP, 18 & 26.12.1956.

[10] Le Monde, 16.03.1957 ; La Croix, 16.03.1957.

[11] Sites & Monuments, 04.1958.

[12] Sites & Monuments, 01.2004.

[13] Sites & Monuments, 07.2004.

[14] Commission du Vieux Paris, compte-rendu de la séance du 21 novembre 2019. Le rapport Bélaval-Perrault préconisait « l’extension des surfaces sous verrière et sous le bâtiment », cette dernière proposition étant certainement trop onéreuse.

[15] « A l’occasion de l’instruction de la demande de permis de construire pour la partie hospitalière du nouvel Hôtel-Dieu, l’AP-HP a pris connaissance du nouvel avis émis par la Commission du Vieux Paris », communiqué de presse, 03.12.2019

[16] Commission du Vieux Paris, compte-rendus des séances du 26 avril, 31 mai et 20 décembre 2018.

[17] Le Monde, titrant « A Paris, Anne Hidalgo veut corriger le projet de l’Hôtel-Dieu » illustrait son article par des seules vues du projet Novaxia/Anne Démians, alors que la critique portait sur le projet Setec/SCAU. La Tribune de l’Art confondait les deux (« Le projet de l’Hôtel-Dieu (...) a été violemment critiqué, même par la maire de Paris qui l’avait pourtant soutenu »), de même que l’écrivain et habitant du quartier Benoît Duteurtre dans une chronique publiée dans Marianne.

[18] Conseil de surveillance du 13 décembre 2019, www.aphp.fr



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UNE CITATION, DES CITATIONS
« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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