10.11.2025 l RAPPELONS, en préambule, que le mécénat est un acte désintéressé au regard de la loi, donnant néanmoins droit à une réduction d’impôt. En outre, sont autorisées des contreparties à hauteur de 25% du montant du don, sans dimensions publicitaires, ni promotionnelles pour l’entreprise. A l’inverse du parrainage (ou sponsoring) qui est une action publicitaire contre soutien financier, n’ouvrant pas droit aux mêmes avantages fiscaux, moindres pour ce dernier.

EXPOSITION « MÉCANIQUES D’ART », MUSÉE DU LOUVRE, PARIS, 17.09 – 12.11.2025
Cette exposition se limite à 11 objets présentés dans la salle 602, aile Richelieu, conçue, de toute évidence, uniquement pour valoriser le « prêt exceptionnel » de l’entreprise horlogère Vacheron Constantin, propriété du groupe suisse Richemont.
Ce que confirme la marque dans sa communication, désignant l’objet comme « la pièce maîtresse de l’exposition » et citant Olivier Gabet, directeur du département des Objets d’art du musée du Louvre (également interviewé sur son site) : « En écho à l’automate imaginé par les ateliers d’art de la maison Vacheron Constantin, d’autres œuvres viennent évoquer combien il s’inscrit dans la tradition ancienne, si ce n’est immémoriale, d’une passion pour les mécanismes complexes et les machines plus ou moins scientifiques, évocation des grands automates cordouans, ou des horloges à eau égyptiennes, tout comme nombre de ces éléments constitutifs convoquent le souvenir des horloges armillaires ou des cadrans polyédriques du XVIIe siècle. Les métiers d’art s’inscrivent dans une généalogie d’époques et de civilisations les plus diverses ». Texte que l’on retrouve en salle.

En revanche, le Louvre présente le projet à l’inverse dans son communiqué : « Pour illustrer l’excellence des métiers d’art dans le domaine de la haute horlogerie contemporaine, ils sont accompagnés d’un prêt exceptionnel de la Maison Vacheron Constantin ». Sans préciser que le 17 septembre, début de l’exposition, coïncide précisément avec le jour de naissance de l’entreprise en 1755.

Cette création contemporaine est une horloge-automate dénommée La Quête du temps, créée pour les 270 ans de la marque. Elle nécessita le travail d’une centaine de personnes sur une durée de 7 ans, ainsi que le dépôt de 15 brevets. Pesant 250 kilos, elle est composée, entre autres matériaux précieux, de cristal de roche, quartzite, lapis-lazuli, or et de 132 diamants. La veille de l’ouverture au public, l’entreprise fêtait l’événement lors d’un dîner de prestige donné dans la cour Marly du musée, pour une centaine d’invité·es venu·es du monde entier, agrémenté d’un spectacle de danse.

La scénographie est simple. L’horloge de Vacheron Constantin occupe la place centrale, attirant tous les regards par son éclairage scintillant se reflétant dans un podium recouvert de miroirs inclinés. Relégués en périphérie dans des vitrines basiques, les autres objets, datant de l’Egypte antique au 19e siècle, en sont comme les satellites, y compris la pendule La Création du Monde, chef-d’oeuvre du 18e siècle, dépôt du château de Versailles, dont l’entreprise avait mécéné la restauration en 2016.

Des médiateurs, là pour apporter des informations sur l’histoire et le mécanisme de l’horloge, se signalent par un badge Louvre et le port d’une blouse blanche comme en portent les ouvriers horlogers. S’ils ne cachent pas être employés de Vacheron Constantin, l’un d’eux, quand je lui ai demandé, a indiqué pourtant travailler… dans les bureaux. Le discours, bien rodé, s’appuie sur une tablette avec photos et vidéos. Deux films sont également diffusés dans la salle, l’un sur l’horloge-automate Vacheron Constantin, l’autre sur le reste des objets.

Reste la question de la nature de l’événement. Présenté comme une exposition du Louvre bénéficiant d’un « prêt exceptionnel » de la marque, son caractère promotionnel est évident. Si l’objet d’art de Vacheron Constantin n’est pas destiné à la vente et rejoindra prochainement le salon Watches and Wonder à Genève, si aucun produit de l’entreprise n’est proposé dans l’enceinte même du musée, sa création s’accompagne néanmoins de la commercialisation d’une montre-bracelet limitée à 20 exemplaires s’en inspirant (prix sur demande).
Dès lors, s’agissait-il d’une location d’espace ? D’une contrepartie de mécénat, qui serait litigieuse ? Contacté mais sans doute occupé à autre chose en ce moment, le service presse du Louvre n’a pas (encore) répondu à nos questions. L’entreprise est depuis longtemps « partenaire » du musée. Outre son mécénat pour la pendule et sa participation à la vente aux enchères en ligne « Bid for the Louvre » en 2020 en offrant une montre d’une valeur de 280 000 euros, elle s’est engagée, en 2019, dans une collaboration avec l’institution aux contours flous et à l’aspect financier inconnu, pour des « réalisations horlogères inspirées des chefs-d’œuvre » du musée, en l’occurrence 4 montres en hommage aux grandes civilisations de l’Antiquité de sa collection Métiers d’Art, mais aussi des « projets créatifs ayant pour objectif de promouvoir l’art, la création et la beauté dans une approche multiculturelle » ( ?), dixit un communiqué. Est-ce dans ce cadre qu’a été présentée son horloge-automate La Quête du temps, nom qu’elle aurait souhaité donner à l’exposition ?

La campagne de communication de Vacheron Constantin a bien fonctionné. Son horloge-automate, ce « chef-d’oeuvre au delà de l’horlogerie » selon la formule utilisée par la marque, a fait l’objet de publicité pleine page dans la presse, avec la mention « Présenté exceptionnellement au Musée du Louvre » du tant au tant. L’événement a été le sujet d’articles élogieux, tous centrés sur la participation de Vacheron Constantin, dans Le Figaro, Figaro Madame, Paris Match, Vanity Fair, Le Point, Challenges... et évidemment dans Le Temps, quotidien suisse, seul journal replaçant l’exposition dans son contexte.
L’article donne la parole à une historienne de l’horlogerie, Rossella Baldi, qui rappelle l’usage de ces mécaniques d’exception au 18e siècle : « A cette époque, ces objets étaient investis d’une valeur scientifique, leur mécanique allait nous aider à comprendre les lois du vivant et celles de l’Univers. Mais pour les horlogers, ces automates étaient surtout des objets publicitaires. Leur objectif était d’impressionner, de démontrer le savoir-faire des ateliers. A la fin, c’était pour faire vendre des montres ! ». On avait bien affaire à une forme de publi-exposition ◆
EXPOSITION « 1925-2025. CENT ANS D’ART DÉCO », MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS, PARIS, 22.10.2025 – 26.04.2026
Ne vous méprenez pas, l’entrée de l’exposition ne correspond pas... à son début ! Quand on arrive, on est naturellement happé par la scénographie spectaculaire dans la nef, espace le plus grandiose du musée, alors que « la partie disons sérieuse de l’exposition » dixit Le Parisien, est reléguée dans les étages. Pourtant, c’est bien là qu’elle commence : au second puis au troisième étage, avant de descendre au rez-de-chaussée, dans la nef, où, en réalité, elle se termine.
Si la dernière salle dans les étages de ce sinueux parcours est consacré au « goût du voyage » maritime et aérien, la nef est entièrement dédiée à l’Orient-Express. Pas seulement le voyage mythique en train reliant autrefois Paris et Istanbul, dans un luxe inouï culminant dans les années 1920, mais également un train actuel, designé dans un style contemporain inspiré de l’Art déco (et de l’Empire) sous la direction artistique de l’architecte Maxime d’Angeac. Produit d’appel d’une offre hôtelière internationale globale du groupe Accor, propriétaire de la marque Orient Express accolée à des trains, hôtels et même à des yachts ( !), en association avec LVMH, ce train, pas encore en circulation, est né de la redécouverte, en 2016 en Pologne, de 17 voitures de l’Orient-Express datant des années 1920-1930, conservant encore quelques éléments d’origine à l’intérieur comme des panneaux Lalique.

Dans cette partie de l’exposition, se mêlent affiches, vaisselles, lampes et mobiliers historiques (pour beaucoup, provenant du fonds de dotation Orient Express, créé par Accor qui en détient les archives) avec les décors du nouveau train, la nef se transformant en véritable showroom promotionnel, à la scénographie distincte du reste de l’exposition.

Tandis qu’une colonne représentant le train futur renversé à la verticale a été plantée à l’entrée, la maquette d’un de ses wagons à l’échelle 1 a été introduit dans la nef... alors qu’il en existe d’authentiques, conservées avec décor et mobilier, comme ceux, propriétés de la SNCF, classées au titre des Monuments historiques et restaurés, qui furent accessibles lors des dernières Journées du patrimoine, gare Paris-Austerlitz.

Dans la nef, une cabine de 1929 avec son mobilier d’origine, de l’ancien train Pullman Etoile du Nord donné aux Arts déco en 1987 par la Compagnie internationale des wagons-lits et du Tourisme (avec sa rame ?), voisine avec 3 décors modernes du train d’Accor : le bar, le restaurant et une suite. La nef n’aurait-elle pas été mieux occupée par un rappel de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 qu’on est censée célébrer ? On y aurait bien vu évoqués quelques pavillons, façades ou intérieurs reconstitués, ou, par exemple, exposé l’arbre cubiste des frères Martel dont il existe une réplique grandeur nature devant le musée des Années 30 à Boulogne-Billancourt, l’exposition n’en présentant qu’une petite maquette.

Quelle est la raison de la présence de cet Orient Express moderne, au-delà de sa création d’un Art déco du 21e siècle ? Pas seulement exposant, la marque est aussi présentée comme « partenaire principal[e] » de l’événement, quand Cartier et la Banque transatlantique sont là en « soutien », selon la communication officielle du musée, sans que l’on sache ce que ces appellations, de plus en plus utilisées dans les musées, recouvrent.

Questionnée, l’institution nous a répondu en toute transparence, via son service presse : « L’Orient Express a accepté de soutenir l’ensemble de l’exposition et a pris en charge l’intégralité des dépenses liées aux installations sous la forme d’un parrainage ». A la différence du mécénat censé être un acte désintéressé, le parrainage, appelé familièrement sponsoring, est une action publicitaire contre soutien financier, à une exposition par exemple comme ici, n’ouvrant pas droit aux mêmes avantages fiscaux, moindres pour ce dernier. L’entreprise peut déduire ses dépenses liées à son acte de parrainage de ses résultats imposables. En clair, c’est moins « noble » que du mécénat. D’où l’appellation « partenaire principal » plus valorisante. On comprend mieux, dès lors, la place importante offerte à l’entreprise, ce qui explique aussi le titre donné à l’exposition. Mais pourquoi le public n’est pas informé de ce parrainage ?

L’opération de communication fonctionne, par ailleurs, à merveille, au vue des nombreux articles de presse générés par cette exposition, en grande partie, voire complètement consacrés à ce nouvel Orient Express, tous quotidiens et magazines confondus. Il n’y a eu guère que Télérama pour se questionner et s’offusquer de cette opération de « promotion », tombant malgré tout dans le piège en parlant de mécénat. Quant à Cartier et la Banque transatlantique, les sociétés sont, elles, bien mécènes de l’exposition, tout en étant prêteuse « de nombreuses oeuvres majeures » pour la première, particulièrement valorisée dans le parcours puisque la marque a droit à toute la deuxième salle ◆
EXPOSITION « GUSTAVE CAILLEBOTTE - JEUNE HOMME À LA FENÊTRE & PARTIE DE BATEAU », ESPACE LOUIS VUITTON NEW YORK, 28.10 – 16.11.2025
Comment nommer une « exhibition » d’œuvres quand elles ne sont que deux ? Une micro-expo ? La marque Louis Vuitton s’est payé le luxe de faire venir, depuis Paris, un chef-d’oeuvre du peintre Gustave Caillebotte, Partie de bateau (1878), pour l’exposer trois petites semaines au sommet de son magasin éphémère de New York. Avec, en prime, Paul Perrin, directeur de la conservation et des collections (DCC) du musée d’Orsay auquel ie tableau appartient, pour une table ronde animée par Jean-Paul Claverie, PDG du groupe LVMH. Le conservateur avait été en début d’année, le commissaire français de l’exposition parisienne « Caillebotte - Peindre les hommes ».

L’oeuvre, accrochée dans un minuscule espace occupé par des bancs, fait face à un second tableau célèbre du même peintre, Jeune homme à sa fenêtre (1876), venu, lui, de Los Angeles, prêté par le J. Paul Getty Museum dont sa présidente, Katherine Elizabeth Fleming, était également présente pour l’inauguration. Pendant ce temps d’échanges, « aux étages inférieurs, les clients examinaient sacs à main de luxe et prêt-à-porter onéreux, indifférents aux chefs-d’œuvre impressionnistes du XIXe siècle exposés au-dessus d’eux », raconte le média Whitehot Magazine, non sans humour.
« L’exposition » est présentée par la Fondation Louis Vuitton, en partie pour des raisons juridico-administratives puisque, si d’autres magasins Louis Vuitton dans le monde possède un espace d’exposition où elle développe un programme « Hors-les-murs », ce n’est pas le cas à New York et c’est une première. En espérant que les conditions de conservation et sécurité y soient assurées. D’autre part, le musée français est-il en droit de prêter une oeuvre... à une boutique ? Là, aussi, il semble que ce soit une première.

La raison de ce prêt, à tous points de vue extraordinaire et sans aucun propos scientifique, est à mettre en lien avec le mécénat exclusif de LVMH pour que le musée d’Orsay puisse acquérir en 2023 ce chef-d’oeuvre classé « trésor national » par l’Etat, pour la somme de 43 millions d’euros, ouvrant la possibilité d’un abattement fiscal de 90% de la somme versée pour le groupe. Il est probable que le prêt - y’en aura-t-il d’autres ? - a été négocié dans le cadre de ce mécénat. D’autant qu’un geste semblable, dans une même configuration, a déjà eu lieu l’été dernier.

Comme nous le racontions à la fin de cette enquête sur la mode au Louvre, le 27 juin 2025, pour le premier défilé Dior de son nouveau directeur artistique, Jonathan Anderson, deux musées acceptèrent de prêter, chacun, un tableau de Jean Siméon Chardin, lesquels se retrouvèrent perdus sur les parois du pavillon éphémère construit devant les Invalides. Une première pour des oeuvres de cette valeur. L’un, Un Vase de fleurs (1750), venu des National Galleries of Scotland, l’autre, Le Panier de fraises (1761), prêté par le Louvre (Laurence des Cars, sa présidente, était présente selon des médias), clôturant même les images de l’événement retransmises en live. En 2023, LVMH avait contribué à l’acquisition de l’oeuvre classée pareillement « trésor national » pour deux tiers de son coût, soit 15 millions d’euros.
Le message est clair. Si le mécénat est, selon la loi, un acte désintéressé, le mécène, pour LVMH, garde des droits sur « son » œuvre mécénée et en reste un peu propriétaire. Les musées n’ont qu’à s’y plier ◆
EN GUISE DE CONCLUSION
Ces trois événements augurent une nouvelle ère, un glissement vers une forme d’américanisation des relations entre entreprises privées et musées français, en cohérence avec la crise budgétaire que connaît l’Etat de moins en moins enclin à les financer. Dès lors, les barrières morales tombent, les frontières s’effacent entre collaboration et promotion, fragilisant l’encadrement législatif de ces « partenariats » sans réaction du ministère de la Culture. Quoi qu’on en pense, un problème majeur demeure : la non information du public, voire sa désinformation, sur la nature réelle de ces événements, ce qui devrait être, a minima, une obligation ◆
