LOUVRE POUR TOUS

Accueil > Politiques > Mécénat

Mécénat Ahae, la justice française enquête

Bernard Hasquenoph | 15/06/2019 | 09:23 |


Saisie par la Corée du Sud, la justice française enquête sur les biens de la famille Yoo mise en cause dans le naufrage meurtrier du Sewol en 2014. Elle pourrait être amenée à confisquer l’argent du mécénat versé par Ahae (alias Yoo Byung-eun) au musée du Louvre et au château de Versailles, ce qui serait totalement inédit. Bernard Hasquenoph, fondateur de Louvre pour tou•te•s et auteur du livre « Ahae, mécène gangster », a été sollicité par la police dans le cadre de cette enquête.

15.06.2019 | COMMUNIQUÉ / BERNARD HASQUENOPH - Je confirme l’information qui conclut l’enquête de Roxana Azimi dans le Magazine du Monde (n°404 /15 juin 2019) sur « les mécènes encombrants ». Il y a bien une instruction judiciaire en cours en France concernant l’affaire Ahae, j’ai moi-même été sollicité par la police comme “expert” et auteur du livre Ahae, mécène gangster (éd. Max Milo, 2015).

En mai 2018, j’ai été contacté par la Plateforme d’Identification des Avoirs Criminels (PIAC) / French Assets Recovery Office, rattachée à l’Office Central pour la Répression de la Grande Délinquance Financière (OCRGDF) au sein de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ). Ce service a pour mission, dans le cadre d’affaires liées le plus souvent à la grande criminalité, « l’identification des avoirs financiers et des biens patrimoniaux des délinquants, en vue de leur saisie ou de leur confiscation », au bénéfice par exemple des victimes.

C’est dans ces circonstances que j’ai découvert que la justice française s’intéressait à l’affaire Ahae « à la demande des autorités judiciaires sud-coréennes ». On me sollicitait pour ma connaissance du dossier. Afin d’en savoir plus, répondant à l’invitation, je me suis rendu quelques jours plus tard dans les locaux de la police judiciaire à Nanterre.

L’AFFAIRE AHAE :: Ahae est le pseudonyme d’un homme d’affaires coréen ayant versé de l’argent comme mécène au musée du Louvre (1,1M€/2012) et au château de Versailles (2,7M€/2013), tout en y louant des espaces prestigieux afin de présenter une exposition de ses photos de nature qui, malgré leur qualité discutable, reçurent les éloges des présidents de ces deux établissements publics (Henri Loyrette alors en fonction et Catherine Pégard, toujours en poste), ainsi que de certains médias. Comme d’autres villes du monde où le même scénario se produisit, le public n’était pas informé de la véritable nature de ces événements.

En août 2013, je publiais sur mon site Louvre pour tou•te•s une enquête sur cette situation que je jugeais problématique, tant d’un point de vue artistique, moral que juridique. J’y révélais l’identité cachée de ce personnage invisible et certaines de ses activités : Yoo Byung-eun, inventeur prolifique, propriétaire de domaines agricoles et prédicateur d’une Eglise évangélique en Corée du Sud et aux Etats-Unis. Sans réaction, ni du milieu culturel, ni de la presse française. Moins d’un an plus tard, lui et sa famille se retrouvèrent impliqués dans le naufrage du ferry Sewol qui eut lieu en Corée du Sud le 16 avril 2014, causant la mort de 304 personnes, la plupart lycéen•nes, résultat de graves dysfonctionnements. Ce fut un drame national, qui ébranla jusqu’au pouvoir politique. La justice coréenne identifia Yoo Byung-eun comme propriétaire du ferry et lanca un mandat d’arrêt à son encontre. Celui-ci prit la fuite, ainsi que ses deux fils, dont l’un, Yoo Hyuk-kee alias Keith Yoo, était l’organisateur des expositions et dirigeant de la société Ahae Press, à New York et Paris.

Les médias coréens, qui présentaient Ahae comme escroc et gourou d’une secte, découvrirent son activité de photographe, exposant à l’étranger, par mon enquête et me sollicitèrent largement. Je mis alors à jour d’autres mécénats Ahae en cours en France (Philharmonie de Paris, Festival des forêts à Compiègne) qui furent finalement annulés, pour l’un sur intervention du ministère des Affaires étrangères Laurent Fabius.

A l’issue de procès dans le cadre de l’affaire du Sewol, tous les membres proches de la famille Yoo ont été condamnés pour corruption, à l’exception du principal intéressé Yoo Byung-eun (Ahae), fugitif retrouvé mort le 12 juin 2014 dans des circonstances non élucidées. Sa fille Yoo Som-na, vivant en France, fut extradée vers la Corée du Sud en juin 2017, après une longue bataille judiciaire. Seul son fils, Keith Yoo, reste à ce jour introuvable. En France, dans le milieu culturel, il n’y eut aucune suite, ni personne tenue pour responsable de quoi que ce soit. Seule réponse du ministère de la Culture, l’élaboration en décembre 2014 d’une charte du mécénat… Je publiais en 2015 mon livre « Ahae, mécène gangster ». Depuis, la présidente de la République sud-coréenne, Park Geun-hye, a été destituée et condamnée à de la prison pour abus de pouvoir et corruption. Les familles des victimes du Sewol se battent toujours pour faire toute la lumière sur le drame.

J’en appris plus. La justice de Corée du Sud avait saisi la justice française à l’été 2017, souhaitant récupérer les avoirs et biens de la famille Yoo, à travers notamment les activités d’artiste photographe de Ahae considérées comme du blanchiment d’argent.

Le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke, en charge du dossier, avait missionné la PIAC pour identifier les biens de la famille Yoo en France. Répondant à quelques questions, j’ai présenté essentiellement le contexte d’une histoire assez compliquée et préciser le rôle des uns et des autres. J’ai eu par la suite quelques échanges à distance sur certains points et y suis retourné une fois. Si je n’ai pas souhaité rendre publiques ces informations, avant de me confier dernièrement à Roxana Azimi, c’était, d’une part pour ne pas entraver le cours de l’enquête (sans qu’on me le demande), et d’autre part parce que la situation me dépasse encore plus qu’en 2014. J’ignore quelles seront les conséquences de cette procédure, si même elle aboutira. Néanmoins, elle corrobore tout ce que j’ai mis en lumière dans mon livre.

JPG - 108 ko
Ahae Versailles, dans l’Orangerie

Avoirs pouvant être concernés par une confiscation des autorités judiciaires :
- 1,1 million d’euros : mécénat d’Ahae au Fonds de dotation du musée du Louvre en 2012, sans affectation particulière (ce qui lui vaut d’avoir toujours son nom gravé en lettres d’or dans le musée, salle 5 des Antiquités étrusques et romaines)
- environ 2,7 millions d’euros sur les 5 millions promis : mécénat d’Ahae au Château de Versailles en 2013 pour la recréation du bosquet du Théâtre-d’Eau. Versement stoppé après le drame du Sewol. J’ignore à quoi a pu être utilisée cette somme, le nom d’Ahae n’ayant plus été cité au sujet de ce bosquet inauguré en mai 2015.

Comme le signale Roxana Azimi dans son enquête, il semble possible juridiquement de récupérer ces sommes en tant que produits infractionnels (article 131-21 du Code pénal). Pour parler familièrement, comme argent sale. Ce serait totalement inédit pour du mécénat. Une nouvelle fois, cela pose la question de savoir comment des établissements publics de cette renommée ont pu se retrouver dans une telle situation. De quels moyens disposent-ils pour vérifier l’origine des sommes récoltées ? Quel rôle de contrôle et de conseil joue le ministère de la Culture ? Les opérations de mécénat sont-elles assez transparentes et le croisement mécénat/location d’espaces est-il tolérable ? Enfin, les restrictions budgétaires et la nouvelle économie des musées ne favorisent-elles pas ce genre de dérive ?

Autres avoirs ou biens pouvant être concernés :
- 10 000 euros : mécénat d’Ahae au musée de l’Orangerie, dépendant du musée d’Orsay, en 2012
- Comptes de AHAE PRESS France
- Hameau de Courbefy dans le Limousin, acquis 520 000 euros le 21 mai 2012 par AHAE PRESS Inc. (New York) pour Ahae afin, officiellement, d’en faire un village d’artistes. Le projet n’a jamais vu le jour. Le maire local, Bernard Guilhem, y croit toujours, en contact encore avec les responsables d’Ahae Press, et même de son fils Keith Yoo qui serait venu sur place, selon lui, fin 2017 (bien que théoriquement sous mandat d’arrêt international).

:: Bernard Hasquenoph | 15/06/2019 | 09:23 |

© Louvre pour tous / Interdiction de reproduction sans l'autorisation de son auteur, à l'exception des textes officiels ou sauf mention expresse

RETOUR HAUT DE PAGE

EN COMPLÉMENT


VOS COMMENTAIRES


LAISSEZ UN COMMENTAIRE

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé dans le respect des lois et règlements en vigueur et du droit des personnes.



NOTES



RECHERCHER DANS TOUT LE SITE

Version imprimable de cet article Version imprimable

PAR LE FONDATEUR DE LOUVRE POUR TOUS


EN LIEN




UNE CITATION, DES CITATIONS
« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
d'autres citations [...]