08.07.2019 | FIN NOVEMBRE 2018, à la remise au Président de la République du rapport sur la restitution du patrimoine africain par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy - fruit d’une mission officielle devant répondre à la question Quoi et comment restituer ?, et non pas Faut-il restituer ? comme des personnes ont feint de le croire pour déconsidérer leur travail -, Emmanuel Macron annonçait sa décision « de restituer sans tarder 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, après les sanglants combats de 1892 » conservées au musée du quai Branly-Jacques Chirac.
Pour le reste, ne suivant pas à la lettre les recommandations du rapport jugées maximalistes par le camp des réfractaires, il appelait à une plus grande circulation des oeuvres africaines des musées français, sous différentes formes : « restitutions, mais aussi expositions, échanges, prêts, dépôts, coopérations, etc. ». Le Président prévoyait de réunir à Paris « au premier trimestre 2019 » partenaires africains et européens, afin de co-construire « cette nouvelle relation et cette politique dʼéchanges ». Mais rien ne vint.
C’est sans doute pour répondre à une impatience croissante des milieux en attente de dialogue que les deux ministères missionnés par le Président pour activer le dossier, Culture et Affaires étrangères, organisèrent, ce 4 juillet, le forum « Patrimoines africains : réussir ensemble notre nouvelle coopération culturelle ». La journée a donné lieu à une série d’interventions sur des projets de coopérations patrimoniales France/Afrique et des tables rondes, toutes très intéressantes même si tout semblait fait pour éviter le sujet brûlant des restitutions. La rencontre, montée à la hâte - invité une semaine avant, nous avons découvert les participant.es sur place et une invitée africaine a même remercié publiquement la France pour avoir accéléré la délivrance de son visa - se tint à l’auditorium de l’Institut de France. Somptueux et curieux endroit pour une telle réunion puisque l’Académie des beaux-arts, à la sortie du rapport, s’était plutôt déclarée hostile au principe de restitution, une position (inaliénabilité des collections nationales, sauf exception « au cas par cas », et circulation des œuvres) que le Chancelier Xavier Darcos prit plaisir à rappeler dans son mot d’accueil. Peut-être fallait-il y voir au contraire un signe, même involontaire, puisque cette position n’est finalement pas si éloignée de celle du ministre de la Culture qu’il développa dans son discours très attendu.
« Patrimoines africains : réussir ensemble notre nouvelle coopération culturelle », @JY_LeDrian et @franckriester invitent spécialistes, professionnels et scientifiques à établir une nouvelle coopération patrimoniale avec le continent africain@Elysee @gouvernementFR @francediplo pic.twitter.com/0N14cP14L4
— Ministère de la Culture (@MinistereCC) 4 juillet 2019
Franck Riester, abandonné par Jean-Yves Le Drian, son homologue du Quai d’Orsay, qui, s’étant fait porter pâle pour cause de G7, n’était même pas remplacé par un membre de son cabinet, mit du temps à prononcer le mot restitution, élargissant le champ des possibles : « La nouvelle politique de coopération que nous devons construire ensemble ne peut se restreindre à la seule question des restitutions ». Le rapport Sarr/Savoy ravalé au rang de « contribu[tion] au débat intellectuel », le ministre rappela néanmoins la décision du Président de la République de restituer 26 oeuvres au Bénin : « Nous travaillons depuis plusieurs mois déjà avec les autorités béninoises pour concrétiser cet engagement et garantir le transfert effectif des œuvres ».
Pour permettre leur restitution, Franck Riester évoqua de façon sibylline « une inscription dans la loi ». Un responsable béninois parlera d’un « déclassement juridique et administratif ». Soit un régime d’exception qui s’est déjà pratiqué pour quelques rares cas dans le passé : la restitution de la dépouille de Saartjie Baartman dite « Vénus hottentote » à l’Afrique du Sud (loi n°2002-323 du 6 mars 2002) et pour la vingtaine de têtes maories rendues à la Nouvelle Zélande (loi n°2010-501 du 18 mai 2010). Cependant, il s’agissait de restes humains. Une solution écartée par le rapport qui prône « une évolution du droit positif, dans le cadre d’une modification du code du patrimoine » pour justement sortir du cas par cas. Une exception plus large inscrite dans la loi, appliquée à tous les « objets des collections de musées, transférés hors de leur territoire d’origine pendant la période coloniale française », sans pour autant d’automaticité contrairement aux fantasmes de certain.es. La demande d‘un Etat serait soumise à une commission d’expert.es scientifiques, laquelle statuerait sur la restituabilité ou non des pièces, au regard de différents éléments. Nous n’en sommes clairement pas là.
LE BÉNIN FREINE LES ARDEURS DE LA FRANCE
Dans l’attente du règlement législatif des 26 oeuvres du musée du quai Branly qui pourrait prendre un certain temps « compte tenu du nombre important de textes en discussion au Parlement » selon Franck Riester, le ministre fit savoir son souhait de les voir retourner d’ici là au Bénin, à priori « dans le cadre d’un dépôt ». Ce qui, juridiquement, ne pose aucun problème. Mais pour être présentées où, vu que tout le monde s’accorde à dire qu’aucun musée, là-bas, n’a les conditions requises ? Pas à la Fondation Zinsou, installée à Cotonou, comme s’échine à le répéter sa présidente, Marie-Cécile Zinsou, contre la rumeur véhiculée, en France, par le site La Tribune de l’Art qui fait fi de tout ce qui vient contrecarrer ses insinuations malveillantes à l’encontre de cette famille franco-béninoise [1]. D’ailleurs, pour information, la Fondation Zinsou va fermer ses locaux à Cotonou, la principale ville du Bénin, en octobre 2019 pour mener un nouveau projet dans la campagne de Ouidah, comme Marie-Cécile Zinsou l’a annoncé dernièrement au Collège de France.
Pourriez vous arrêter de propager vos propres #fakenews ? La @FondationZinsou n’a aucunement vocation à exposer les œuvres du patrimoine national du Bénin, ni les actuelles, ni les futures. Arrêtez les insinuations qui ne se basent que sur vos propres conjectures.
— Marie-Cécile Zinsou (@McZinsou) 4 juillet 2019
José Pliya, directeur de l’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme du Bénin qui s’exprima ensuite, n’évoqua même pas la possibilité d’un dépôt. Saluant le « nouveau vivre-ensemble patrimonial » qui unit le Bénin à la France, il s’attarda sur le musée des épopées des amazones et des rois du Dahomey qui doit voir le jour au sein des palais royaux d’Abomey, financé par l’Agence française du développement (AFD) à hauteur de 20 millions d’euros et qui, à terme, accueillera les 26 oeuvres restituées. Mais d’ici deux ans, pour une ouverture prévue en novembre 2021, nous a-t-il précisé lors d’un échange en marge du forum (contre la date de 2020 précédemment évoquée). Le dépôt fait l’objet de discussions entre le Bénin et la France, sans pour l’instant de solution.
La situation s’inverse donc de manière assez inattendue. C’est désormais le Bénin qui freine les ardeurs de la France, comme José Pliya l’exprime clairement. Mais pas seulement pour les oeuvres du musée du Quai Branly (5000 pièces ont été listées par le Bénin, susceptibles de faire l’objet de demande de restitution par la suite), mais également du Musée africain de Lyon fermé en 2017. En effet, la Société des missions africaines de Lyon, organisme catholique propriétaire du musée, aurait proposé de faire don au Bénin des objets rapportés par ses missionnaires au 19e siècle, parmi lesquels plusieurs se rapportent directement au roi Béhanzin, mais le pays, nous révèle M. Pliya, a (pour l’instant) décliné l’offre, faute d’un lieu adapté pour les accueillir. La boîte de Pandore est donc loin d’être ouverte, comme certain.es le prédisaient avec effroi. D’autant qu’il semblerait que la France n’ait reçu à ce jour aucune autre demande officielle de restitution, malgré les déclarations fracassantes dans la presse d’un certain nombre de pays suite au rapport, notamment du Sénégal, ce que confirmerait cette phrase extraite du discours de Franck Riester : « La France examinera avec la même attention les demandes qui lui seront présentées par d’autres pays africains ».
LE RAPPORT SARR/SAVOY, UN IMPACT FORT À L’INTERNATIONAL
Cependant, sans préjuger de l’avenir, le rapport Sarr/Savoy n’a pas vocation à finir dans un tiroir, comme tant d’autres rapports. Comme nous le formulait dans un autre article la directrice adjointe du musée de l’Armée : « Le rapport a eu le mérite de créer une forme d’électrochoc », incitant l’établissement à intensifier l’étude de sa collection africaine et à repenser sa muséographie. Il devient désormais difficile pour un musée d’exposer des pièces liées au contexte de la colonisation pour leur seul attrait esthétique, sans y associer un discours plus transparent sur leur provenance. Et pour le public, de se questionner avec un minimum de conscience. Ce qui, il y a encore quelques années, n’intéressait personne. Ce processus de “décolonisation des collections”, des musées l’ont déjà engagé. Lors du forum, ont témoigné en ce sens des responsables du musée Hèbre de Rochefort qui a revu la présentation de sa collection d’oeuvres extra-européennes - le conservateur a reconnu ne plus pouvoir exposer, même contextualisé, un objet considéré comme problématique ! - et du musée d’Angoulême qui, ayant reçu en don une collection de parures de tête, a décidé que celles dont il serait impossible, après recherches, de déterminer la provenance, seraient remises à leur pays d’origine.
On sait également que le rapport a eu un fort impact à l’international, obligeant un certain nombre de pays à évoluer sur la question des restitutions. C’est le cas de l’Allemagne et des Pays-Bas comme l’ont confirmé, au forum, des représentants de ces deux pays. Quant à la Belgique, le directeur du Musée royal de l’Afrique centrale - Tertuven a fait rire toute l’assemblée, en avouant que la sortie du rapport Sarr/Savoy, coïncidant avec la réouverture de l’établissement sous le nom d’Africa Museum, l’avait contraint à revoir tous les textes de salle, alors que les 5 ans de rénovation et réflexion avaient justement eu pour but de réactualiser la présentation de ses collections issues de la colonisation.
[1] Lionel Zinsou, père de Marie-Cécile Zinsou, est un économiste et banquier d’affaires, ancien Premier ministre du Bénin et candidat malheureux aux dernières élections présidentielles de 2016. Connaissance professionnelle d’Emmanuel Macron du temps de leurs passages respectifs à la banque Rothschild, il a soutenu durant sa campagne le candidat d’En Marche.
Dans un article publié par La Tribune de l’Art aussitôt après la remise du rapport Sarr/Savoy - « Emmanuel Macron met fin à l’inaliénabilité des collections publiques
» (23.11.2018) -, Didier Rykner, son directeur, écrit que si Emmanuel Macron décide de restituer ces oeuvres au Bénin « sans réflexion autre que son bon vouloir », c’est, conclue-t-il, « pour faire plaisir à un ami », insinuant que père et fille, celle-ci étant engagée publiquement pour ces restitutions et dénonçant régulièrement le mauvais état des musées nationaux béninois, seraient à la manoeuvre afin de les récupérer pour leur Fondation. La Tribune de l’Art reviendra dans d’autres articles sur ce sujet, sans plus d’éléments factuels.
Il existe pourtant des raisons objectives et simples qui expliquent la décision d’Emmanuel Macron : déjà elle suit une recommandation explicite du rapport Sarr/Savoy ; la provenance de ces 26 oeuvres et leur mode de captation sont parfaitement documentés, ce qui est loin d’être le cas de toutes celles ramenées durant la colonisation ; leur restitution fait l’objet d’une campagne médiatique et politique soutenue en France, en Europe et en Afrique, initiée et menée depuis 2013 par le militant et président d’honneur du CRAN, Louis-Georges Tin (sans lien, à ma connaissance, avec la famille Zinsou et qui s’attribue aujourd’hui tout le mérite de la situation), en faisant le symbole le plus visible de la cause ; enfin et surtout, ce sont les seules oeuvres réclamées officiellement par un pays, processus engagé en 2016 par le Bénin, avec l’appui du CRAN comme l’indique ce compte-rendu de conseil des ministres, sous la Présidence de Patrice Talon... qui n’est autre que le rival politique de Lionel Zinsou, lors des dernières élections présidentielles. Suite au rejet de la première demande en décembre 2016 par la France, l’annonce du retour des 26 oeuvres a constitué incontestablement une victoire du Président Talon, ce que la presse béninoise a d’ailleurs salué : ici ou ici.