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Non, la gratuité ne nuit pas

Jean-Louis Sagot-Duvauroux | 20/09/2006 | 09:16 |


Jean-Louis Sagot-Duvauroux est un homme de théâtre. Il est également un citoyen engagé, il est l’auteur de « De la gratuité », éditions de L’éclat, 2006 qu’il a rendu accessible gratuitement sur internet : « Livre payant, texte gratuit ».

Votre texte révèle le « pack » qui, de nos jours, accompagne la destruction des gratuités : dressage au mensonge publicitaire, suprématie du rapport de consommation sur toute autre forme de relation aux choses et aux êtres, principe de vulgarité. Je me suis très souvent promené dans les délicieux jardins des Trianons rendus par la République à la libre contemplation du peuple après avoir été le symbole d’un luxe réservé aux princes. Leur gratuité n’est pas simplement une bonne aubaine. Elle transfigure notre rapport aux arbres, aux vues. Elle les accorde aux mouvements de l’âme, placée tel jour dans une riche disponibilité, sèche un autre jour. Tandis que, le ticket étant payé, souvent cher, surtout quand on se promène en famille ou avec des amis, nous sommes comme naturellement conduits à en vouloir pour notre argent.

Alors nous contraignons nos émotions au forceps, nous efforçant de consommer tous les plaisirs annoncés dans le dépliant publicitaire, et nous feignons de croire que nous les avons vécus quand nous avons simplement rempli notre besace de souvenirs touristiques standardisés. La gratuité nous autorisait et l’ennui, et la grâce. Le nouveau régime nous interdit l’un et l’autre. Il nous permet tout juste de provoquer l’envie de nos connaissances en énonçant la dérisoire antienne touristique qui résume à elle seule la profanation : J’ai « fait » les jardins de Marie Antoinette. Une bonne chose de « faite ». La course à l’accumulation des circuits « à voir absolument » peut continuer.

Les grands musées nationaux du Royaume Uni sont gratuits. On passe devant. On se souvient de tel portait dont l’expression troublante réclame un nouvel entretien. On y entre comme chez soi. Les mises en mouvement que requiert la contemplation des grandes oeuvres ne sont souillées par aucune considération cumulative. Elles ignorent la goinfrerie qui accompagnent l’évaluation de tout par l’argent. Le coeur reste svelte et le musée est amical. L’art, nous le savons bien, nous élève à la contemplation des formes singulières qu’aucun prix ne peut évaluer. La gratuité lui va bien et c’est toujours, toujours un retrait de l’esprit quand elle recule.

L’argent est également un obstacle pour ceux qui n’en ont pas. L’argument qui consiste à rappeler qu’il n’est pas le « seul » obstacle est particulièrement méprisable. Il nous assène en effet que le monopole des privilégiés sur les richesses matérielles s’accompagne également d’une captation des richesses symboliques. Nous voulons un autre monde. Et la gratuité, et l’appropriation par tous des vocabulaires symboliques ouvrant sur les grandes oeuvres du passé qui en effet n’étaient pas faites pour le peuple d’hier, mais dont le peuple d’aujourd’hui n’a aucune raison de se priver.

Je suis familialement lié au Mali. Je ne manque jamais l’occasion d’emmener des amis ou des parents de passage visiter le Louvre ou Versailles, ou d’autres chefs d’oeuvres de notre passé français. Je vous garantis que la gratuité, quand elle existe, ne nuit pas.

:: Jean-Louis Sagot-Duvauroux | 20/09/2006 | 09:16 |

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