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Le nouveau Musée Magritte ou le syndrome de la dame blanche

Louvre pour tous | 19/05/2009 | 16:28 |



19.05.09 | Nous reproduisons ici un article sur l’ouverture à la fin du mois du musée Magritte, à Bruxelles. Son auteur, Bernard Hennebert, milite, depuis trente ans, avec son mouvement CONSOLOISIRS, pour créer des droits (et des devoirs) pour les usagers des loisirs en Belgique, refusant que la Culture devienne un simple produit. Se définissant comme « un activiste du temps libre », il s’évertue notamment à faire connaître la gratuité des musées le premier dimanche du mois acquise en 2008. Nous nous sentons bien sûr proche des combats de Bernard Hennebert d’autant que nous partageons le même prénom et les mêmes initiales, étonnant non ?  :: Bernard Hasquenoph

<h6>© DR</h6>

BRUXELLES - Une annonce faite par Michel Draguet dès son arrivée à la tête des Musées royaux des Beaux-Arts en juin 2005 enflamma tout le milieu muséal : la création d’un Musée Magritte sur la place Royale. Rarement, un nouveau projet culturel fit autant l’unanimité tout au long de son élaboration, tant dans les médias que dans la sphère politique. Et à ma connaissance, aucun débat ne fut organisé auprès du public.

On peut pourtant se demander s’il est vraiment préférable de créer une nouvelle entité muséale plutôt que de réaménager, voire d’agrandir la section de notre Musée d’Art moderne réservée au célébrissime peintre. Mais dans ce dernier cas, il aurait été difficile de faire payer davantage le visiteur !

Avec l’inauguration du Musée Magritte, nous allons donc vivre le « syndrome de la dame blanche » adapté à la culture. Explication : ces dernières années, nombre de tea-rooms ont en effet réussi à masquer une hausse significative du prix de cette coupe glacée typiquement belge en dissociant ses éléments mythiques : de la glace vanille, du chocolat chaud et de la crème fraîche (ou chantilly), cette dernière constituant désormais un supplément facultatif, supplétif… et tarifé à part. En art donc, désormais, on isole aussi un élément de ce qu’on considérait comme un tout afin de faire payer complémentairement sa contemplation !

Pour rappel, du milieu des années 80 jusqu’en 1997, les musées fédéraux furent gratuits tous les jours, jusqu’à la réintroduction des entrées payantes imposée par le ministre de la Politique scientifique Yvan Ylieff – et nombre de conservateurs ne furent guère heureux de cette évolution ! Ce ne fut point une solution miracle aux problèmes financiers des musées qui, comme on le sait, n’ont cessé de s’accroître par la suite. Le « payant » peut coûter, surtout pour les musées de taille moyenne dont nombre n’attirent qu’un public limité : impression des tickets, salaire du personnel qui vérifie les entrées, etc.

Jusqu’à la veille de l’ouverture du Musée Magritte, il fallait s’acquitter de 5 euros (tarif prix plein) pour admirer tous les chefs-d’œuvre anciens et modernes des Musées royaux sis rue de la Régence, dont sa célèbre collection d’œuvres du maître surréaliste considérée par les guides touristiques comme l’une des plus riches au monde.

Désormais, pour découvrir sur une surface plus ou moins analogue (aucun nouvel immeuble n’a été construit) globalement le même nombre d’œuvres anciennes et modernes, il faudra acquérir un billet combiné de 13 euros (collections permanentes des Musées d’Art ancien et moderne + Musée Magritte). Il s’agit donc de bien plus que d’un doublement du prix, en pleine crise économique sans précédent.

Profitant du délire inaugural du Musée Magritte, une autre augmentation substantielle est discrètement mise en place : le « tarif normal » pour la visite des Musées d’Art ancien et moderne passe de 5 à 8 euros [1].

Bien sûr, la majorité des touristes acceptera sans doute ces augmentations mais, le premier effet de « mode » passé, qu’en sera-t-il pour le public autochtone ? Fin 2003, Helena Bussers, qui avait précédé Michel Draguet à la direction des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB), indiquait que le retour aux entrées payantes avait provoqué une chute d’environ 30 % des entrées : « Les touristes continuent d’affluer mais ce sont surtout des visiteurs qui venaient découvrir régulièrement l’une ou l’autre salle qui ont été affectés. »

On pourrait rétorquer que le Musée Magritte sera gratuit chaque premier mercredi du mois. Cette faveur ne s’applique en fait qu’entre 13 et 17 heures, sans doute pour empêcher les écoles d’y avoir accès le matin. De plus, cet avantage destiné à tout le public est discriminatoire puisque les personnes qui travaillent ou qui étudient ne peuvent en profiter.

Ne s’agit-il pas là que d’un bon filon financier magistralement médiatisé ? Fin 2008, Paul Dujardin, le directeur de Bozar, décidait de soutenir publiquement un autre rêve de Michel Draguet : après le Musée Magritte, lancer l’idée d’un futur Musée Cobra. Où s’arrêtera donc la surenchère ? Pourquoi pas, sur cette lancée, continuer d’extraire des collections permanentes une flopée de Rubens ou de Brueghel, voire l’intégrale de nos « primitifs flamands » ?

C’est là, en fait, que réside le réel débat de « politique culturelle » dont on a fait l’économie jusqu’à présent. En « déménageant » progressivement quelques-uns des joyaux les plus « vedettisés », ceux qui permettent d’attirer le public pour mettre celui-ci en situation de découvrir tant d’autres œuvres magistrales mais moins connues, ne va-t-on pas du même coup réduire encore plus sensiblement la fréquentation des collections des Musées d’Art ancien et moderne ?

Le dépeçage pourrait peut-être se poursuivre pour les œuvres maîtresses de Paul Delvaux puisqu’Alain Destexhe et Didier Reynders, en pleine campagne électorale, souhaitent les voir prêtées à un hypothétique musée à ériger également place des Palais.

Dans tous les musées des MRBAB qui existent jusqu’à présent, on limite depuis des lustres les heures, les jours (surtout les jours d’affluence du week-end) ou les espaces à visiter car l’on ne sait plus payer les prestations du contingent de gardiens d’ailleurs réduit au strict minimum.

La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf aurait-elle donc « scandaleusement » gagné au Lotto ?

On peut enfin se demander s’il faut ainsi jouer uniquement la carte de la starification artistique au mépris d’autres musées dont Michel Draguet ainsi que nos autorités scientifiques et fédérales, et la Régie des Bâtiments, devraient également favoriser la promotion auprès de la population ?

Ainsi, que penser du fait qu’en novembre dernier, le site internet officiel des MRBAB a supprimé toute possibilité de visiter pendant le week-end la maison ixelloise où habita le peintre et sculpteur de la vie ouvrière du XIXe siècle, Constantin Meunier ? Comme, de plus, cet atelier artistique est fermé en semaine pendant le temps de midi ainsi que les jours de congés légaux, la population active ne peut plus s’y rendre sans mordre sur ses jours de congé. Quel gâchis ! On dénombre une moyenne d’une dizaine de visiteurs par jour (groupes inclus) pour deux gardiens plein-temps. Le vendredi 15 février 2008, quand j’ai découvert ce musée, je fus son seul visiteur de la journée.

L’autre « petit » musée qui dépend des MRBAB, l’atelier du peintre Antoine Wiertz, avait annoncé qu’il serait fermé pour restauration du 15 avril au 14 juillet 2008. Actuellement, il est toujours inaccessible.

N’est-il pas curieux de constater que, précisément, ce sont les deux musées fédéraux qui sont censés offrir actuellement au public un accès gratuit quotidien qui sont devenus au fil du temps aussi inaccessibles ? Deux poids, deux mesures… Culture ou business ?

Bernard Hennebert, coordinateur de www.consoloisirs.be

Reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur

:: Louvre pour tous | 19/05/2009 | 16:28 |

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NOTES

[1] Un bon point cependant ! La gratuité pour les chômeurs et les handicapés (avec un accompagnateur) qui avait été supprimée par un arrêté pris par le ministre Charles Picqué en 2003 est restaurée pour les Musées d’Art ancien et moderne et sera aussi d’application au Musée Magritte.



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« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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