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Ci-gît Bernard Buffet à l’abbaye de Fontevraud

Bernard Hasquenoph | 26/06/2024 | 16:24 |


Le musée d’Art moderne de Fontevraud accueille cet été une exposition sur un peintre du 20e siècle inclassable, adulé autant que détesté, révélant tous ses paradoxes.

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« Deux hommes nus », B.Buffet, 1947, détail

26.06.2024 l « MÉDIÉVAL. C’EST LE TERME QUI S’IMPOSE, si je cherche à résumer d’un mot l’œuvre de Bernard Buffet ». A partir de cette phrase de Jean Cocteau, Dominique Gagneux, directrice du musée d’Art moderne inauguré en 2021 à l’abbaye royale de Fontevraud, a tiré un fil, en résonance avec la cité monastique fondée au 12e siècle, devenue prison après la Révolution jusqu’en 1963, avant d’être transformée en lieu culturel. Avec quatre oeuvres, l’artiste, décédé en 1999, est présent dans ses collections, nées du don du couple Martine et Léon Cligman à la région Pays de la Loire. C’est le mince lien qui le relie au lieu.

La raison, il faut plutôt la chercher du côté de l’ancienne vie de Dominique Gagneux. Bernard Buffet, elle le connaît bien. Elle fut la commissaire de sa rétrospective en 2016-2017 au musée d’Art moderne de Paris où elle était conservatrice en chef. Un retour en grâce pour un peintre détesté de l’establishment artistique de son vivant mais pas des collectionneurs, du public, de la grande presse et des musées... étrangers. Une « réhabilitation posthume », écrira le Figaro. Pas sûr, tellement l’homme reste marqué par un destin hors-norme et l’artiste, par une certaine esthétique de la laideur si déroutante. « L’apparition de Bernard Buffet dans la peinture contemporaine est un de ces faits imprévisibles qui remettent en cause l’objet même de l’art », écrivit un critique à ses débuts (Arts, 16.02.1950). L’exposition a la bonne idée de reproduire nombre d’articles le concernant.

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Abbatiale de Fontevraud l Dominique Gagneux devant un Bernard Buffet

Entré aux Beaux-arts de Paris à 15 ans par dérogation vu son jeune âge, à 18 il expose dans plusieurs salons, à 19 première exposition personnelle et achat par l’Etat d’une toile (« Le Coq mort » en dépôt au musée Cantini, à Marseille), la seule de toute sa vie ! A 20 ans, il reçoit le prix de la Critique, signe un contrat d’exclusivité avec un galeriste à qui il restera fidèle jusqu’à la mort, et c’est déjà la gloire. Un piédestal dont il ne descendra jamais, même si le monde de l’art, à l’époque plutôt tourné vers l’abstraction, lui tourne vite le dos. Cette précocité du succès est à replacer dans le contexte d’après-guerre, rappelle la commissaire, où la jeunesse est célébrée dans tous les domaines. En 1958, le New York Times comptera le jeune homme parmi les « France’s Fabulous Young Five » avec Françoise Sagan, Roger Vadim, Brigitte Bardot et Yves Saint Laurent.

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« La Chambre », B.Buffet, 1947 l Photos et presse

Bernard Buffet restait lucide, confiant en 1983 : « Je n’ai jamais été considéré comme un jeune peintre, j’ai été admis d’un coup avec des louanges mais aussi avec des critiques virulentes qui criaient au scandale. Et j’ai toujours été attaqué, toujours eu des détracteurs et toujours été soutenu. ». Curieux destin d’un artiste français devenu millionnaire à moins de trente ans grâce à sa seule peinture, qui pose dans Paris Match avec sa rolls devant la grille de sa gentilhommière.

MILLIONNAIRE À MOINS DE TRENTE ANS
La situation d’un peintre qui a du succès, c’est le thème sous-jacent à l’expo, d’où l’ajout de l’adjectif pop comme pop art, mouvement artistique contemporain avec qui il partage certaines inspirations comme on le voit dans l’exposition, mais aussi pop comme populaire. On sait, de manière générale, à quel point la réussite est suspecte en France. Pour un plasticien, c’est même rédhibitoire, surtout quand il sort du champ culturel pour atteindre le grand public. C’était le cas de Bernard Buffet avec sa « Tête de clown » (1955) reproduite « à un nombre considérable d’exemplaires », indique, dans le catalogue, Gatien Du Bois, co-commissaire et chargé de projets au musée. Jusqu’à être parodiée dans le film culte « Les Bronzés font du ski » (1979) dans la scène du scrabble quand le couple de parvenus interprété par Gérard Jugnot et Josiane Balasko accroche dans “leur” appartement le tableau d’une tête de clown clairement dans le style du peintre.

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« Deux clowns », B.Buffet, 1955, détail l Film « Les Bronzés font du ski », 1979

En 1956, L’Express titrait un article « Millionnaire de la peinture, Bernard Buffet a tout de même du talent », le journaliste commençant ainsi : « Il faut avoir du courage aujourd’hui pour dire du bien de Buffet ». On pense aujourd’hui à Damien Hirst ou Jeff Koons évidemment, cible d’une large intelligentsia qui y voit le symbole de l’artiste financier, mais aussi à JR ou, pire, à Richard Orlinski puisqu’au regard du droit, il est reconnu comme artiste. Une omniprésence qui agace, le succès commercial ouvrant d’autres portes. Ainsi, Bernard Buffet conçoit des timbres, est membre du jury au Festival de Cannes, dessine des affiches pour des films et des artistes du show bizz, crée des Unes de magazine, illustre des livres, appose son griffe sur de la vaisselle, des étiquettes de vins ou d’eau minérale… Et le summum, l’une de ses toiles est offerte lors d’un jeu télévisé, pour décorer une maison gagnée par un jeune couple !

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« Annabel au Festival de Cannes », B.Buffet, 1960 l Affiche pour Aznavour et presse

D’un point de vue artistique, ce qui était reproché à Bernard Buffet était sa productivité quasi industrielle. On compterait environ 10 000 oeuvres de sa signature claquant comme une marque. « C’est moins que Picasso », fait remarquer Dominique Gagneux. La réalité, semble-t-il, était qu’il ne vivait que pour peindre. Autre reproche, son style répétitif - reproche que l’on pourrait adresser à nombre de peintres, commente encore la commissaire -, comme une mécanique avalant tous les sujets indifféremment : portraits, paysages, natures mortes...

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« L’Académie Goncourt », 1956 l « Deux gobe-mouches », 1996, « Papillon », 1959, « Le Petit-Duc », 1969

Un jugement renforcé par la curieuse habitude instaurée très tôt avec son galeriste de proposer une exposition annuelle sur un sujet donné, presque scolairement. Comme s’il n’avait rien à dire de personnel. A la différence de ses débuts où il rendait compte d’un univers familier avec beaucoup d’humanité et une austérité saisissante, à l’aide d’une gamme de couleurs restreinte. « Le meilleur moment de sa carrière », écrivait déjà en 1958 le critique d’art André Chastel dans Le Monde.

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« Le Compotier », 1949 l Portraits, 1948 & 1949

Il s’inscrit alors dans un courant de jeunes peintres figuratifs, qui refusent le chemin des avant-gardes et préfèrent puiser dans la grande tradition occidentale, sa formation aux Beaux-Arts s’étant accompagnée d’une fréquentation assidue du Louvre. Même parmi eux, il demeure à part, comme son style reste inclassable, « original et traditionnel à la fois » pour la commissaire, « médiéval », « roman » ou « gothique » selon certains critiques, pour le hiératisme de ses figures humaines et la frontalité de ses points de vue. A part, il le sera aussi dans sa vie privée puisque marié quelques mois avec une camarade des Beaux-Arts, il restera en couple durant 8 ans avec Pierre Bergé rencontré en 1950 alors que ce dernier travaillait encore dans une librairie, avant de le quitter pour épouser Annabel Schwob avec qui il demeurera jusqu’à la fin, adoptant trois enfants.

PEINTRE EN SÉRIE
Ses séries thématiques se succéderont toute sa vie à partie de 1952 sans une seule année manquée (c’est le même contraire, plusieurs en connaîtront même deux !), rencontrant plus ou moins de succès et donnant lieu à des vernissages où accourait le Tout-Paris. Certaines entreront dans les foyers puis dans l’imaginaire collectif, via des reproductions largement diffusées, comme pour le Cirque (1956) ou Paysages de Paris (1957).

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Série « L’Automobile », 1985 l « La Cité et Notre-Dame », 1956, détail

Parmi la variété des sujets traités, l’exposition du musée d’Art moderne de Fontevraud a puisé dans les séries en lien avec le Moyen Age qui fascinait particulièrement Bernard Buffet. Si les Passions du Christ (1952) de ses débuts ressemblent effectivement à des sculptures médiévales et expriment parfaitement la souffrance, la série inspirée par la figure de Jeanne d’Arc (1958) laisse perplexe, par ses couleurs criardes et son peu d’intérêt, évoquant plutôt des illustrations pour livres, en grand format. D’ailleurs, souvent la (sur)dimension des toiles de Bernard Buffet interroge, comme décalée par rapport au sujet.

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« La Crucifixion« , 1951 l « Jeanne d’Arc - Le Procès », 1957

Des toiles issues de la série des Ecorchés (1965) sont... horrifiantes et furent remarquées pour cela. « Aucune de ses expositions n’avait atteint à ce degré de violence dans l’atroce », constate-t-on dans Les Nouvelles littéraires (11.02.1965). Cependant, le critique y voit la preuve de son talent : « La maîtrise du peintre ne fut peut-être jamais plus grande ». Avant de conclure : « Il y a, chez Bernard Buffet, quelque chose des sombres reflets du Moyen Age ». Cette terrible inquiétude qui ne l’aura jamais quittée, on la retrouve dans sa dernière série, « La Mort ». Une galerie de squelettes et de corps décharnés vêtus comme des princes, façon cartes de tarot.

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« Tête d’écorché de dos », 1964 l Série « La Mort », 1999

Ces oeuvres furent exposées de manière posthume en 2000, le peintre, par crainte de la déchéance physique, s’étant suicidé juste après leur réalisation en 1999, s’asphyxiant à l’aide d’un sac plastique de son fidèle galeriste. Façon de clore un destin hors-norme toujours maîtrisé  :: Bernard Hasquenoph

EXPOSITION
« Bernard Buffet, médiaval et pop »
Musée d’Art moderne de Fontevraud
8 juin - 29 septembre 2024
Abbaye Royale de Fontevraud
49590 Fontevraud-l’Abbaye

CATALOGUE
Bernard Buffet, médiéval et pop
Dominique Gagneux, Gatien Du Bois
Ed. Glénat
160 p., 35,95 €
ISBN 978-2-344-06673-7

:: Bernard Hasquenoph | 26/06/2024 | 16:24 |

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